« Le Grand Rafraîchissement » de Benoît Duteurtre par Solange Bied-Charreton sur www.marianne.net le 21 mars 2024

« Le Grand rafraîchissement », de Benoît Duteurtre : le roman qui annule le
réchauffement climatique

Dans son nouveau roman, Benoît Duteurtre imagine une issue heureuse à la grand-messe moralisatrice
écolo-fémino-diversitaire en place dans nos contrées, avec inversion du réchauffement climatique.

Dans un nouveau roman mêlant pure fantaisie et autofiction, la plume toujours vive et satirique de notre chroniqueur Benoît Duteurtre imagine une issue heureuse à la grand-messe moralisatrice écolo-fémino-diversitaire en place dans nos contrées et un jour béni où le thermomètre choisit enfin de redescendre sur terre. Après l’échauffement des esprits, un courant d’air frigorifique n’est pas de refus.


Le ton est facétieux mais le propos souvent plus grave qu’on ne croit. Au fond, les romans de Benoît Duteurtre ressemblent aux dessins de Sempé, dont il fut proche et auquel il rendit hommage à sa disparition : ils mettent en scène la vie minuscule de personnages aux prises avec des tracas drolatiques qui révèlent à merveille l’air du temps. Dans Le Grand Rafraîchissement , l’historique chroniqueur de Marianne imagine que le réchauffement climatique est arrivé à son terme et que nous retournons aux saisons d’avant.


Dans le climat retrouvé de cette « France tempérée, républicaine et gaullienne » se déploient des personnages aux aventures à première vue dissociées et à la toute fin réunies. Un écrivain habitant sur l’île de la Cité, épicentre de la capitale française, regarde le climat changer et la pluie tomber, et vit un très bon moment durant le confinement. Misanthrope, il célèbre la fin des « bisous » et, sans sa populace, la beauté de Paris lui apparaît enfin au grand jour. Entretemps, il aura connu l’affliction, contenue en une seule remarque, celle que lui lance son neveu devant sa discothèque : « Sais-tu que tout ça pourrait tenir
dans le Cloud ? »


Sous le charme de Mouloud

S’il n’y avait que ça. Voilà que sa voisine du cinquième, Mélodie Andeau, l’invite à dîner et lui demande de fumer sur le balcon, sous une pluie battante. Il n’en faut pas plus à notre écrivain pour qu’il fasse de Mélodie un personnage central du Grand Rafraîchissement en sa qualité de juge incorruptible. Dans ce monde merveilleux, qu’il insère dans le premier, on procède à une rafle dans les beaux quartiers. Guillaume s’est fait embarquer par les flics rue de l’Université, dans le très chic VII e arrondissement de Paris, parce qu’il traversait en dehors des clous. Anne-Charlotte, quant à elle, achetait des couteaux
de cuisine au chicissime Bon Marché, non loin de là. Son crime ? Être aisément confondable avec un terroriste islamiste.


Car, dans l’esprit de la « loi pour une Justice équitable » , on obéit, et que ça saute : « les condamnations et les peines devront donc, désormais, correspondre équitablement à chaque catégorie sociale. Si vous représentez 30 % de la population, alors vous devez être aussi 30 % derrière les barreaux. Les Français de souche, les bourgeois, les catholiques, les seniors, n’auront plus aucune raison d’échapper au traitement longtemps réservé aux seuls jeunes des quartiers difficiles. »


Mais tout ne se passe pas exactement comme prévu. Alors qu’Anne-Charlotte est condamné par la juge Mélodie Andeau puis envoyé dans la cité des « Grands Orgues » (de grosses tours insalubres en région parisienne) pour y effectuer des travaux d’intérêt général, elle tombe sous le charme de Mouloud, gardien de la paix. À la fin du roman, où tous les personnages sont rassemblés, on apprend qu’ils sont devenus mari et femme.


Panacée pour présentophobes


Dans Le Grand rafraîchissement , on croisera également Patrice et sa femme anglaise, Margaret, devenue accro au whisky après son licenciement de British Airways, une évocation délectable des TGV d’aujourd’hui contrôleurs invasifs, baristas et agents de nettoyage présentés par leur prénom, et autres « opérations d’embarquement » en gare , des végétalisations, des micro-agressions et des discriminations.
Après la mort de Margaret, Patrice effectuera un « travail de deuil » avec Mélodie (encore elle), reconvertie en animatrice de ce genre d’ateliers de nuisance. Elle deviendra la compagne de Patrice. Rien ne manque donc dans la peinture de notre époque, irrésistible si elle n’était que fiction. Le roman, qui se déroule comme un rêve tantôt loufoque, tantôt angoissant, débouche malgré tout vers un mieux.


Avec le « Grand Rafraîchissement » du climat, Duteurtre imagine en effet l’avènement de la raison. Exit, le délit de « négation du réchauffement et de ses causes humaines » , qui avait même permis aux plus virulents des écologistes d’arguer que le climat refroidissait précisément à cause du réchauffement. Allez comprendre.


Voici venir la voie du milieu, ni trop productiviste ni trop punitive, celle du « bloc équilibriste » dont l’arrivée au pouvoir est concomitante de la fin de l’Union européenne, elle-même signant le retour en gloire du Vieux Continent en termes d’influence dans le monde. Comme quoi, ce n’était pas si compliqué. De ce retour du monde d’avant, on aura tout le loisir de se réjouir dans un antique bistrot, avec fumeurs et œufs au comptoir, tel qu’il apparaît à la fin du roman. Une panacée pour présentophobes.

Source : https://www.marianne.net/culture/litterature/le-grand-rafraichissement-de-benoit-duteurtre-le-roman-qui-annule-le-rechauffement-climatique

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