CULTURE / VALEUR SÛRE
Paysage du Beaujolais. Parmi les atouts de la France,
son climat tempéré menacé par le réchauffement climatique…
Le pays tempéré
Dans un roman mêlant fiction et observation du réel, Benoît Duteurtre fustige une modernité devenue folle et rêve que la France redevienne la France.
Par Olivier Maulin
Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains à avoir inventé leur propre forme. Benoît Duteurtre est de ceux- là. Ce qu’il appelle « roman » est devenu avec le temps un mélange inclassable de propos autobiographiques et de saynètes fantaisistes, de description minutieuse du réel et de pure fiction, toujours étroitement imbriqués.
Ce mélomane averti, qui anime une émission hebdomadaire sur France Musique, compose en même temps qu’il écrit. Ses romans comportent des mouvements légers, d’autres plus graves, quelques-uns comiques, et puis des interludes, et à la fin tout s’emboîte magnifiquement. Ce « léger » revendiqué ne prend pas pour autant son art à la légère, mais il a le bon goût de faire en sorte que son assemblage très délicat et très élaboré paraisse la chose la plus simple au monde.
Duteurtre est un râleur de compétition. Il se promène dans Paris les mains derrière le dos, observant les incivilités d’un œil noir. Un musicien de rue joue sous ses fenêtres? Il descend en robe de chambre pour lui demander de baisser son amplificateur. Quand sa voisine, la juge d’instruction du cinquième, l’invite à dîner, il n’en revient pas de devoir fumer sur le balcon, regrettant l’époque où des belles boîtes à cigarettes circulaient à la fin des repas.
Et voilà que cette voisine bascule dans la fiction, magistrate au cœur de « la rafle des beaux quartiers », décidée à la suite d’une loi visant à « répartir les jugements sans épargner aucune catégorie économique ou sociale ». Des habitants du VIIe arrondissement de Paris sont ainsi condamnés à des peines de prison pour avoir traversé en dehors des clous, manière pour l’État de prouver statistiquement qu’il y a autant de délinquance partout sur le territoire.
À son habitude, le romancier se moque d’une modernité gavée d’idéologie, au point de ne plus envisager l’art que sous la forme d’ateliers socioculturels visant à la défense des minorités, à la promotion de l’égalité ou, désormais, à la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce réchauffement qui hystérise les consciences militantes n’arrange évidemment pas l’état de la société, alors Duteurtre décide, en romancier-démiurge, qu’il doit cesser, et le voilà qui glisse dans l’utopie. Après des années de chaos lié à la chaleur, les climatologues se mettent en effet à observer un retournement de la situation: c’est le grand rafraîchissement qui redonne à la France son climat tempéré et la culture politique qui va avec, faite d’équilibre dans tous les domaines.
Il y a un peu de naïveté dans la description de cette nouvelle France harmonieuse aux conflits abolis et à l’amour de soi retrouvé. Mais il y a aussi quelque chose de touchant: le refus (désespéré) de désespérer et la croyance, presque magique, que la France redeviendra un jour « ce berceau de la douceur de vivre », un pays qui a longtemps conjugué son harmonie sociale avec son art de vivre si singulier.