Drôle de temps de Benoît Duteurtre. Entretien
Rencontre avec Benoît Duteurtre, à l’occasion de la parution de Drôle de temps en février 1997.
À quel « temps » votre titre fait-il allusion ?
Benoît Duteurtre — Il s’agit à la fois du temps que nous vivons, de notre époque, et, plus simplement, du temps qu’il fait. Initialement, le livre devait s’appeler Scènes de la vie, parce qu’il est constitué d’une succession de scènes de la vie contemporaine en France à la fin du XXe siècle, dans ce qu’elles ont de plus normal, de plus banal, mais toujours avec un élément inattendu, ridicule, grotesque ou poétique… J’ai voulu ce nouveau titre pour mieux marquer l’irruption du comique dans la réalité la plus ordinaire.
Votre livre n’est ni un roman, ni un récit, ni un recueil de nouvelles…
Benoît Duteurtre — C’est une série de tableaux, avec toujours un personnage central : tantôt un jeune cadre dynamique, tantôt un acteur raté, tantôt moi-même évoquant des souvenirs d’enfance… La figure change, comme si le même personnage se métamorphosait d’une scène à l’autre dans des situations, des histoires, des tonalités et des formes littéraires différentes, tel un feuilleton des bizarreries de la vie quotidienne. Le livre se compose de six parties, qui ont chacune leur unité mais forment cependant un tout, ce qui le rapproche d’une certaine forme de roman contemporain autant que d’un recueil de nouvelles. Certains thèmes traversent tout le livre, par exemple celui de la vie vue par le biais de la vidéo et de l’écran de télévision.
Votre style vise avant tout à la transparence…
Benoît Duteurtre — Ce livre prolonge ce que j’ai commencé avec L’Amoureux malgré lui et poursuivi dans Tout doit disparaître et Gaieté parisienne. Une sorte de recherche stylistique fondée sur la préoccupation suivante : éviter de plaquer du style sur la réalité, mais au contraire saisir le style de l’époque, de ses objets, de ses situations, en appréhender la force esthétique comique, effrayante, déconcertante… Je veux réapprendre à m’étonner devant l’apparente banalité qu’on ne sait plus voir. C’est pourquoi je vise une phrase très limpide qui renonce à tout artifice apparent d’écriture. Il s’agit de pousser à l’extrême un art du regard et de la représentation qui saisisse le contenu romanesque de l’existence, qui appréhende le détail troublant, le paradoxe vivant, la petite faille du réel. Ainsi, dans mes livres, les objets, les décors de l’époque se substituent souvent à toute autre intrigue : c’est aussi une comédie des objets, des parkings, des sanisettes…
© Éditions Gallimard
Lire aussi :
- L’école du regard par Milan Kundera dans Le Nouvel Observateur du 30 janvier 1997.
- La grande machine à décerveler par Michel Déon dans Le Figaro littéraire, 13 février 1997
- Le temps des coquins par Jean-Pierre Tison dans Lire de mai 1997
- WORLD LITERATURE IN REVIEW: FRENCH par John L. Brown dans World Literature Today, Winter 98
- Bruce Benderson, 1997 Weird Weather
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