« La cruauté » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1197 du 21 au 27 février 2020.

Carte blanche « LA CRUAUTÉ »

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Benoit Duteurtre Credit: Ulf Andersen / Aurimages.

Je suis toujours content quand quelqu’un sort de prison – à moins qu’il ne s’agisse d’un être violent ou d’un dangereux psychopathe. La libération de Patrick Balkany m’a donc semblé bienvenue malgré les arguments de ceux qui rêvaient de le maintenir au trou. Il vivait un cauchemar, peut-être mérité, mais un cauchemar quand même qui consiste à se retrouver enfermé, sans droits, soumis à l’isolement et à la promiscuité – ce qui se prolonge facilement par la maladie et la dépression. Si je le plaignais pourtant, on me rétorquait : « C’est bien fait pour lui, avec tout l’argent qu’il a détourné. » Et après sa condamnation à la prison ferme pour fraude fiscale (contre toutes les habitudes), j’ai observé une étrange jubilation: la satisfaction des justiciers de tout poil, mais aussi de certains esprits progressistes enchantés de voir un notable traité comme les autres. Je les aurais sentis plus contents encore si Balkany s’était vu, tel Strauss-Kahn aux Etats-Unis, affublé d’une combinaison de prisonnier, enchaîné par les mains et par les pieds.

Je ne me suis donc pas étonné, les jours suivants, de constater que les brigades du Web s’inquiétaient du fait que l’ami de Sarkozy aurait pu bénéficier d’une cellule décente, au lieu d’être soumis à toute la précarité des prisons. Je ne défends pas les agissements du maire de Levallois. Je trouve juste qu’il rende ce qu’il doit, et pourquoi pas qu’il aille faire la plonge dans une cantine scolaire. Mais je ne puis m’empêcher de penser que la prison est généralement une mauvaise solution, plus encore vu la honteuse surpopulation carcérale.
Ce doit être un relent de mon éducation de chrétien de gauche. J’ai horreur de cette soif de vengeance qui, aujourd’hui plus qu’hier, dirige souvent l’opinion publique et influence jusqu’aux décisions de justice. Je n’aime pas qu’on enferme les petits voleurs, mais pas non plus les grands, ni même ces vieux curés coupables, trente ans plus tôt, d’actes répréhensibles et qui ne représentent plus de danger pour personne. La mise au jour des faits et la comparution représentent déjà une justice dont la portée symbolique, suivie d’une réparation matérielle, pourrait souvent suffire.

Mais notre époque a renoncé à tout discours critique sur la punition, comme celui d’un Michel Foucault dans Surveiller et Punir. L’heure n’est plus aux subtilités mais au retour de la cruauté, désormais revendiquée au nom de la psychologie et de l’égalité. La psychologie d’abord, selon laquelle la victime aurait besoin non seulement que le coupable soit condamné, mais encore qu’il souffre suffisamment pour que cette victime puisse se reconstruire. L’égalité ensuite, mais une égalité par le bas, au nom duquel ce condamné doit se voir jeté dans la fosse sans le moindre accommodement tenant compte de son âge, de sa situation antérieure ou des faits qu’on lui reproche. Christiane Taubira voulait, à juste titre, limiter les peines pour certains délits mineurs; il serait paradoxal que de supposés puissants se voient doublement châtiés au nom de la justice sociale.
Adolescent, je me choquais d’entendre des beaufs s’indigner que les maisons d’arrêt ressemblent à « des hôtels trois étoiles », comme si le prisonnier devait se voir soumis à toutes les vicissitudes. Aujourd’hui, leurs vœux sont comblés chaque fois qu’un individu est incarcéré, quand on sait l’état honteux de certaines prisons françaises, tout juste digne d’un pays du tiers-monde. La cruauté s’affiche et triomphe comme une vertu. Elle se réjouit de voir souffrir Balkany, de voir humilier Ghosn dans sa cellule japonaise, et s’excite à l’idée de condamner Matzneff, qui, malade, âgé et désargenté, mériterait encore d’être soumis à toute la violence carcérale… Voilà qui ferait plaisir à la meute déchaînée mais qui m’apparaît plutôt comme une sordide régression.

 

 

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Une réflexion sur “« La cruauté » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1197 du 21 au 27 février 2020.”

  1. La foule assoiffée vengeresse et prédatrice se contente et se délecte des boucs émissaires toutes catégories confondues pour satisfaire tout le monde (Balkany, Matzneff, Ghosn, le curé de la semaine etc…) que lui présente Anne Sophie à son 20 H les bras dénudés prête à en découdre. Le virus nous a fait prendre du retard ,ca devrait saigner encore plus à la rentrée.

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