« La démocratie des trottinettes » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1350 du 26 janvier au 1er février 2023

Carte blanche

PHILIP CONRAD / PHOTO 12 VIA AFP

Par BENOÎT DUTEURTRE

LA DÉMOCRATIE DES TROTTINETTES

Anne Hidalgo ne doute vraiment de rien. Après avoir chamboulé Paris pendant neuf ans, pris des décisions à l’emporte-pièce, défiguré les boulevards, laissé certains quartiers se transformer en zones du tiers-monde; après avoir été désavouée aux élections municipales (vu l’abstention, moins d’un inscrit sur cinq a voté pour son programme) et à l’élection présidentielle (les Parisiens n’étaient plus que 2,1 % à la soutenir), la voilà qui propose un référendum sur… les trottinettes en libre-service. Cette décision annoncée avec tambours et trompettes lors d’un entretien avec le Parisien marque, paraît-il, le retour en première ligne de la cassante édile parisienne, prête à ouvrir une demi-oreille aux critiques sur la circulation. On eût aimé qu’elle lance de semblables consultations sur la fermeture des voies sur berges (imposée du jour au lendemain), l’interdiction de la rue de Rivoli aux voitures, la candidature de Paris aux jeux Olympiques, l’abattage des arbres place de la Nation, les aménagements du Champ-de-Mars… Sans doute s’agissait-il de questions trop importantes pour les soumettre aux Parisiens.

Dans son affichage continuel de vertu, cette municipalité se présente comme championne des «consultations citoyennes »; mais celles-ci concernent le plus souvent des sujets minuscules, tandis que les grandes décisions sont portées à la connaissance des citoyens par le biais de réunions d’information. Plus préoccupante encore est l’attitude d’une Mairie qui procède par coups de com, effets d’annonce, mais se désintéresse de la réalité concrète vécue par les citadins. Car, si la question des trottinettes se pose, c’est non seulement à cause de l’incivilité des utilisateurs, mais aussi parce que la police municipale, censée réglementer ces pratiques, semble inexistante sur le terrain. Les cyclistes qui roulent au milieu des piétons ne se voient jamais rappelés à l’ordre quand la Mairie devrait veiller au simple respect des règles, au lieu de nous annoncer un nouveau «code de la rue ». Dans un autre registre, si les squares se dégradent, c’est parce qu’il n’y a plus de gardiens; si le ravissant marché aux fleurs doit être entièrement rénové, c’est parce que la Ville le laisse se dégrader depuis des années. Partout le discours l’emporte sur le réel, et les pléthoriques services de communication transforment le parvis de l’Hôtel de Ville en vitrine coûteuse des bonnes causes environnementales – tandis que, juste à côté, quai de l’Hôtel-de-Ville, Parisiens et banlieusards patinent dans un embouteillage permanent.

Difficile de faire entendre la moindre critique à Mme Hidalgo, qui avouait à Gaspard Gantzer: «Tous les matins, je me lève en me disant que tout le monde m’aime. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ça m’aide à ne pas me poser de questions. » Merveilleuse politique de l’autruche qui la conduit, après tant d’échecs, à annoncer: «Nous irons encore plus loin et plus vite en 2023. » Face aux voix qui s’élevaient contre sa politique, elle a longtemps dénoncé l’« extrême droite » ou le «sexisme » avant de préférer se boucher les oreilles – ce qui n’empêche pas certains journalistes de la dire «très courageuse », comme si foncer dans le mur en entraînant avec soi tout le monde (et les finances municipales) était une forme de courage. Mais c’est ainsi : la présidente du conseil municipal se prend pour une femme d’État. Elle n’a pas trop de temps pour les affaires banales. À peine réélue, elle a préféré se présenter à la présidentielle, se rendre en Ukraine, qui n’a aucun besoin d’elle, intriguer au PS, tweeter à tout propos sur les femmes, les minorités, les journalistes et autres grandes causes sociales et sociétales. La principale fonction d’un maire n’est pourtant pas de sauver la planète ni de défendre les droits de l’homme partout dans le monde mais de permettre aux citoyens de vivre dans une cité pratique et agréable. La question des trottinettes fait partie du sujet, mais la capitale a surtout besoin d’être entretenue avec attention, dans l’espoir fort improbable que l’équipe municipale, chargée de Paris jusqu’en 2026, nous la rende dans un état aussi bon que celui où elle l’a trouvée!■

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