« Ballets roses »
Par Bernard Quiriny dans Le Nouveau Magazine Littéraire n°486 de mai 2009
Dans Les Pieds dans l’eau, Benoît Duteurtre s’inspirait de ses souvenirs d’enfance les vacances dans la station normande d’Étretat et la figure de l’arrière-grand-père, le président René Coty pour raconter la disparition de la vieille France bourgeoise du siècle précédent, avec le retour au pouvoir du général de Gaulle et l’entrée du pays dans la modernité. C’est ce bouleversement de la fin des années 1950 qu’il continue de scruter ici en prenant pour objet un vieux scandale politico-sexuel : les « ballets roses », une affaire de mœurs qui a défrayé la chronique en 1958 et dans laquelle était impliqué un notable politique de l’époque, André Le Troquer. Ancien résistant et pilier du socialisme français, ce fils d’ouvrier devenu député avec le Front populaire s’était hissé jusqu’à la présidence de l’Assemblée nationale, poste clé qui faisait de lui le deuxième personnage de l’État. Bon vivant, il était doté d’un appétit sexuel hors norme qui, pour son malheur, l’a entraîné sur ses vieux jours dans les combines scabreuses d’un certain Merlu, ex-policier reconverti dans le détournement de mineures… Avec ses rebondissements crapuleux, ses personnages interlopes à la Modiano et son étonnant épilogue judiciaire, ce récit nostalgique et plein d’humour reconstitue un monde disparu, celui de la « France d’après guerre avec ses gueules, ses accents, ses villages et ses quartiers ». Au-delà du fait divers et des coulisses du changement de régime, c’est là que se tient le charme du livre : dans la sensibilité de l’auteur pour les parfums et les clichés d’une époque, sensibilité qui n’est rien d’autre que la mélancolie du temps qui passe.