SATIRE De Zadig à Duteurtre Par Alexis Lacroix – « Le Retour du Général » de Benoît Duteurtre – Marianne 27 mars 2010

SATIRE De Zadig à Duteurtre
Par Alexis Lacroix

Le Retour du Général. C’est le titre du nouveau roman de notre collaborateur Benoît Duteurtre. On redoute déjà le lamento sur une France vouée à  » tomber « , faute de sauveur providentiel. Rassurons-nous ! Plus proche de Buster Keaton que de Marie-France Garaud, Duteurtre signe en fait une farce, une fantaisie romanesque, dans la grande tradition du conte philosophique. C’était l’année dernière, dans une banlieue française : attablés autour du poste de télévision, M. et Mme Zeggaï cherchaient pour leurs enfants un programme  » intéressant « . Après de nombreuses tentatives, ils tombèrent, las et résignés, sur le Grand Voyage. Et ce fut comme une apparition.  » Soudain, derrière le crachotement qui brouillait le générique, M. Zeggaï entendit un bourdonnement qui s’amplifia peu à peu : trois notes aiguës tournant rapidement sur elles-mêmes. Passionné de films de guerre, Mustapha reconnut aussitôt l’indicatif de Radio Londres dans les documentaires sur la Résistance. […] Devant eux, dans le flou d’un document historique, se tenait l’homme qui avait longtemps symbolisé la France aux yeux du monde.  »

Sous son képi à deux étoiles, ce Free French ressuscité, ce  » pseudo « -de Gaulle n’a rien renié, rien oublié. Prophétisme intact et résistantialisme inoxydable : il veut relancer l’encéphalogramme plat de l’autre nation indispensable. Il tance  » l’alignement suicidaire sur de prétendues normes internationales « . La mondialisation l’effraie, le culte de l’argent fou le consterne, et il agonit de son timbre éraillé ces prophètes du  » renoncement  » qui, à l’en croire, ont fait perdre au pays jusqu’au souvenir de sa  » vocation « . Duteurtre, toutefois, n’est pas par hasard de l’école kundérienne : sa satire est sans morale, son éclat de rire ne fait pas la morale. Aux antipodes du militant, le romancier se conçoit comme un scénographe ironique. Qui se contente de traîner son fantôme gaulliste sous les lambris. Cette exploration suffit à désorganiser l’arène bling-bling qu’est devenue, pour partie, notre démocratie. Et à jeter un jour cru, impitoyable, sur une époque balançant entre servilité et dérision ricanante.

 

Le Retour du Général,
de Benoît Duteurtre, Fayard, 222 p., 17,90 €.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.