Livre – Chanson : lumière sur ces « arrangeurs » qui créent les tubes Par Benoît Duteurtre dans Marianne du 15 décembre 2018

« Jeff” », « le Métèque », « Melody Nelson » ou « Ce n’est rien » : si les refrains de ces chansons sont inscrits dans nos mémoires, c’est notamment grâce aux arrangeurs. Un livre rend enfin hommage à ce métier de l’ombre…

 

Avec le temps, la sublime chanson de Léo Ferré, nous toucherait-elle autant sans cet obsédant motif de piano ? Le Jeff de Brel serait-il aussi poignant sans son tournoiement de cordes qui donne l’impression de tituber ? La magie de Ce n’est rien, chanté par Julien Clerc, ne doit-elle pas beaucoup aux accords de bastringue qui lancent la chanson ? Quant à l’irrésistible Initials BB de Gainsbourg et Bardot, sa force secrète ne tient-elle pas à l’orchestre fiévreux qui avance inlassablement ? Ces quatre fleurons sont l’œuvre de quatre « arrangeurs », ces artisans de l’ombre qui habillent une mélodie, la développent, lui donnent du relief, et contribuent à inscrire un refrain dans nos mémoires.

Jean-Michel Defaye, complice musical de Léo Ferré, aurait pu devenir compositeur après ses études au Conservatoire, tout comme François Rauber, l’ami et le double de Brel disparu en 2003. Jean-Claude Petit, arrangeur de Julien Clerc ou de Claude François, écrit aujourd’hui des opéras. Quant à Michel Colombier, qui sut donner à Gainsbourg ses plus belles couleurs, il est mort en 2004 à l’aube d’une brillante carrière américaine. Tous les quatre figurent, avec 200 autres, dans le premier livre consacré à cette profession, les Arrangeurs de la chanson française, de Serge Elhaïk, une somme de portraits et d’entretiens pour explorer ce métier magnifique.

DES CHEFS D’ORCHESTRE OUBLIÉS

Si une chanson est souvent concoctée par plusieurs artistes – chanteur, auteur, compositeur, arrangeur -, le grand public ne retient généralement que l’interprète, tandis que l’arrangeur demeure méconnu. Pendant longtemps on s’est contenté de mentionner sur les disques le nom d’un « chef d’orchestre » qui, souvent, accomplissait toute la mise en forme de la chanson, avec sa rythmique, ses ponts, ses thèmes, ses contrepoints.

Avant guerre déjà, des orchestres comme ceux de Pierre Chagnon ou Marcel Cariven apportaient leur savoir-faire aux tubes de Maurice Chevalier ou de Mistinguett, tandis que Wal-Berg colorait d’une subtile touche de jazz les premiers disques de Charles Trenet. Mais l’âge d’or de l’arrangement commence dans les années 50, avec l’évolution des techniques d’enregistrement et l’ouverture de grands studios, comme ceux de Barclay avenue Hoche ou de Michel Magne à Hérouville, attirant la fine fleur de la variété mondiale. Pendant trois décennies, les arrangeurs vont alors rivaliser d’invention dans leurs orchestrations. Beaucoup d’entre eux ont acquis une solide formation classique, ou de jazz, avant de se tourner vers les enregistrements de studio.

Auteur : Serge Elhaïk Paru le : 07/11/2018 Éditeur(s) : Textuel

Ce métier connaîtra un certain déclin à partir de la fin des années 80, avec l’essor des samplers, les économies de production sur fond de crise du disque, mais aussi la volonté des artistes d’enregistrer avec leur groupe, au lieu de se confier à un habilleur professionnel ! Fini le temps où les solistes de l’orchestre de l’Opéra cachetonnaient dans les séances de variétés au mythique Studio Davout, fermé en avril 2017… Le métier d’arrangeur n’en reste pas moins sollicité par ceux qui aiment travailler leurs couleurs : à l’image d’un Souchon dans Foule sentimentale, dont la musique envoûtante est pour une part l’œuvre de Michel Coeuriot ; de Mylène Farmer et de son complice Yvan Cassar ; ou encore de Jean Musy, sollicité par tous ceux qui ont envie de s’offrir un album symphonique… Fasciné depuis l’adolescence par ces musiciens dont le grand public ignore les noms, Serge Elhaïk a consacré plusieurs décennies – parallèlement à sa profession de médecin – à rencontrer ces artisans de l’ombre. Guidé par l’obsession des passionnés, il nous livre aujourd’hui le fruit de ce travail et, ce faisant, une contribution essentielle à l’histoire de la chanson.

 

Benoît Duteurtre

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