« Elle ose tout » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1245 du 22 au 28 janvier 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

ELLE OSE TOUT

Ce qui est fascinant chez Anne Hidalgo, c’est qu’elle ose. Rien ne l’arrête, ni la décence ni la raison, quand il s’agit de lancer des mots d’ordre ou de faire la leçon aux autres. On l’a vue ces dernières années se présenter crânement comme la championne de la lutte contre la pollution… quand ses décisions à l’emporte-pièce ont fait de son premier mandat un embouteillage sans fin, pourrissant la vie de nombreux Parisiens et banlieusards. Désormais lancée dans la course à la présidentielle, elle fait la leçon au gouvernement sur la gestion de la pandémie… quand elle-même – Gabriel Attal l’a justement rappelé – n’a guère brillé par son sens de l’organisation, du dossier des Vélib’ à la propreté des trottoirs. Qu’importe: cette façon d’affirmer, cet ego insensible à la critique, sont les clés d’une  carrière à l’ère de la communication où les postures comptent davantage que les faits. Anne Hidalgo peut compter, en outre, sur le soutien inamovible d’une grande partie des médias, qui lui ont accroché l’étiquette de femme courageuse, vraiment à gauche, pasionaria de l’environnement – son courage consistant à mettre à la peine beaucoup de citoyens dans leur quotidien; son  tempérament de gauche faisant les yeux de Chimène à Bernard Arnault ou à François Pinault dans leurs moindres désirs; et sa passion du développement durable se traduisant désormais par le projet visionnaire de la « ville du quart d’heure » et du commerce de proximité… qui n’a pas attendu la gauche pour être particulièrement abondant dans la capitale.

La principale réussite d’Anne Hidalgo est toutefois d’être parvenue à se faire passer pour une gagnante que ses succès électoraux désigneraient naturellement pour 2022, alors que sa réélection à l’automne 2020 fut une des plus calamiteuses de l’histoire parisienne. Les faits sont sans appel: au second tour des élections municipales, Hidalgo, avec ses alliés, verts et communistes, a rassemblé à peine 18 % du corps électoral. Moins d’un Parisien sur cinq a voté pour cette liste et pour son programme, légèrement plus que ceux qui ont voté pour les autres candidats, la grande majorité n’ayant pas voté du tout, faute de se reconnaître dans l’un ou l’autre camp. Pour le dire autrement: quatre électeurs sur cinq (parmi tous les inscrits) n’ont pas choisi Anne Hidalgo, qui a bénéficié, en outre, de circonstances extraordinairement favorables: vote sous pandémie, anxiété des personnes âgées, report du second tour, catastrophe macroniste s’évertuant à entretenir la machine à perdre, de Griveaux à Buzyn, pour le seul bénéfice de la sortante. Cette femme qui se voit porteuse d’un nouveau dessein pour la France ne représente en réalité, sur ses propres terres, qu’une minorité active et militante, favorisée par le désintérêt du grand nombre pour la politique.

Qu’importe puisqu’elle ose tout. Et même, au lendemain de cette piteuse réélection, se laisser mettre en avant pour la présidentielle; ce qui témoigne d’un extraordinaire mépris pour les Parisiens qui, non contents d’hériter d’une élue que la plupart n’ont pas choisie, devraient à présent voir celle-ci utiliser leur ville comme plate-forme électorale. Chirac avait fait la même chose. Au moins Paris était alors une ville prospère quand, aujourd’hui, la dégradation des finances et de l’espace public n’est un secret pour personne. Tout juste peut-on espérer que sœur Anne étant occupée à voir venir cette échéance grandiose, certains élus plus modérés de son entourage pourront reprendre les commandes avec davantage de raison, comme l’a fait parfois, ces derniers mois, son premier adjoint, Emmanuel Grégoire. Pour l’heure les amoureux de Paris tremblent devant la rénovation annoncée du ravissant marché aux fleurs, quai de la Corse, Hidalgo ayant commencé par approuver le projet dément de l’architecte Perrault, qui voulait engloutir ce joyau Belle Époque sous une cloche de verre. On n’en parle plus, tant mieux. Mais alors, pourquoi lancer un concours d’architectes, quand il convient simplement de restaurer à l’identique ces pavillons longtemps délaissés ? Le marché aux fleurs et aux oiseaux(n’en déplaise aux militants antispécistes qui voudraient l’interdire) n’a aucun besoin des élucubrations vertes de l’Hôtel de Ville… car il incarne depuis cent cinquante ans, de façon autrement subtile, la présence du vert au cœur de Paris.


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Une réflexion sur “« Elle ose tout » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1245 du 22 au 28 janvier 2021”

  1. Bravo !!
    Quand le voile d’illusion va t-il enfin tomber au pied de l’hôtel de ville ??
    On retiendra aussi que, pour l’édification de son invraisemblable mythologie, notre passionaria de la végétalisation aura pu compter sur l’alliance de minorités agissantes, redoutables de mauvaise foi et de désarmantes certitudes, toujours promptes à se vêtir des hardes des réprouvés (magie de la société du spectacle) et qui votent : triste farandole où défilent capitalisme vert donneur de leçons (mais qui ne dit pas son nom, bien-sûr), « féminisme » haineux et sans issue, et derniers résidus d’une gauche-marketing tendance « bonne conscience & progrès »…
    Patience, il suffit souvent d’un courant d’air frais pour que le château de cartes s’effondre…

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