Loin du train-train moderne Par India Gibey – « La Nostalgie des buffets de gare » de Benoît Duteurtre – Marianne du 31 juillet 2015

Loin du train-train moderne
Par India Gibey

On n’arrête pas le progrès ! Après son essai Polémiques, Benoît Duteurtre continue dans sa lancée et expose à ses lecteurs le charme du passé face au phénomène contemporain qui ne cesse de se concrétiser. Guillaume Pepy, patron du groupe SNCF, a du souci à se faire avec ce nouveau livre : la Nostalgie des buffets de gare est un pamphlet ferroviaire qui va à l’encontre de la modernité au forceps. Et qui raconte la transformation des gares et des trains et leur marchandisation au nom d’un pseudo-progrès. Désormais calquées sur un modèle aérien, les gares, déplore Duteurtre, ne sont plus qu’un dérivé de leurs semblables avec ce démantèlement de marques similaires aux compagnies aériennes : Eurostar, Thalys ou Lyria. Autrefois vitrine du patrimoine français avec ses fresques au mur et ses vieilles locomotives, le «service» national de chemin de fer, désormais encerclé par des militaires, décoré de Starbucks Coffee et d’annonces comme à Charles-de-Gaulle, se renouvelle de plus en plus sur un ton américain. Comme le souligne si justement l’auteur, «la passion des marques et l’obsession sécuritaire éliminent la part d’imprévu et de poésie». Tout le charme de son livre est justement d’opposer à la triste normalisation néolibérale la légitimité de l’approche nostalgique : l’auteur critique tous ces nouveaux modèles empruntés aux entreprises privées, et la tendance compulsive à mettre de côté le confort du client pour des gains de rentabilité. Conséquence : l’attente interminable au bar, le couloir étroit pour sortir du train, le manque de place pour les valises, les stores et les accoudoirs à partager, les retards, les voix incessantes, l’hygiène, les prix… Sa sévérité reste tout de même nuancée, vu son goût pour la volupté futuriste du TGV : «Voilà du moins ce que je me dis, parfois, en ces moments où j’ai l’impression de jouir pleinement de ma condition d’homme moderne.» Mais, ajoute-t-il, l’innovation nous emporte malgré nous : «Quelque chose a changé depuis ces autorails dont on baissait le carreau en tournant une manivelle, pour dire au revoir à ceux qu’on aimait, avant de pencher le visage au dehors ou de respirer les parfums de la campagne.»

 

La Nostalgie des buffets de gare,
de Benoît Duteurtre, Payot, 109 p., 14 €.

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