Carte blanche
« JE N’AVAIS PAS PRÉVU… »
PAR BENOÎT DUTEURTRE
Ce 1er janvier 2020. présentant le « Concert du Nouvel An » sur France 2, j’adressais aux téléspectateurs mes vœux de bonne santé dont je mesure à présent l’ironie (même si je les réitère). Ce concert rituel comportait aussi, comme chaque année, quelques allusions aux événements des mois à venir, comme l’anniversaire de Beethoven ou les jeux Olympiques de Tokyo. Si un devin m’avait annoncé, ce jour-là, que la plupart des concerts Beethoven seraient annulés et que les JO n’auraient pas lieu, je me serais demandé quel extraordinaire imprévu avait pu remettre en question deux manifestations tellement différentes. Et ma stupeur aurait été plus vive encore si ce prophète de malheur m’avait appris dans la foulée que:
– les rues de Paris (et de toutes les grandes villes) seraient vides au printemps pendant plusieurs semaines, comme cela ne s’est pas vu depuis 1940;
– tous les spectacles et autres événements sportifs seraient annulés;
– Seuls les pharmacies et commerces d’alimentation demeureraient accessibles;
– il serait interdit de marcher dans la montagne et de se promener au bord de la mer…
Je me serais alors figé dans l’effroi, tout en me demandant quel cataclysme allait pouvoir bouleverser à ce point la vie quotidienne. Tentant de pointer différents scénarios, j’aurais peut-être songé à une guerre mondiale: hypothèse vite écartée car je ne crois guère, n’en déplaise à certains, au désir des méchants Russes, des vilains Chinois ou des cruels Coréens de nous envahir.
Me rappelant les grandes inquiétudes de notre époque, j’aurais pu entrevoir une catastrophe naturelle, un tsunami géant, une montée en flèche des températures ravageant les forêts… Mais, il me serait apparu improbable qu’une accumulation aussi soudaine et concomitante de dérèglements suspende toutes les activités de l’humanité.
Peut-être aurais-je encore imaginé qu’une bande d’islamistes fous seraient parvenus à faire exploser des bombes atomiques, provoquant un choc psychologique mondial; à moins qu’ils eussent ciblé toutes les centrales nucléaires pour répandre leur chère apocalypse aux quatre coins du monde.
Je dois toutefois admettre que je n’aurais pas forcément envisagé l’hypothèse d’une pandémie, suspendant nos vies avec les conséquences qu’on sait aujourd’hui. Je le dis pour relativiser la faute des gouvernants qui n’ont rien vu venir, ni en France ni ailleurs, quoique ces gens-là soient censés disposer de toutes les informations nécessaires. Quant à moi et à beaucoup d’autres, autant l’avouer, nous avions l’impression que de telles tragédies restaient circonscrites dans certaines zones malheureuses, tandis que l’alliance occidentale de la science et du système sanitaire représentait un mur tout-puissant.
Mais pour compléter cette liste de mon absence d’intuitions, je voudrais en mentionner d’autres qui me redonnent espoir. Car je n’aurais pas imaginé davantage:
– que nos gouvernements, toujours contraints par les nécessités supérieures du marché, de la Bourse, du réalisme économique, puissent tout à coup interdire les licenciements, balayer les règles budgétaires européennes ou augmenter massivement le budget des hôpitaux;
– qu’un audacieux chercheur français, à l’étonnante personnalité, propose rapidement une thérapeutique préventive, apparemment efficace pour endiguer l’épidémie; et simultanément, qu’une partie du pouvoir politique et des autorités médicales fassent tout pour entraver l’action de ce savant et le désigner comme un dingue… quitte à faire perdre aux patients quelques précieuses semaines.
N’ayant rien vu venir de tout cela, je préfère ne pas prévoir ce qui adviendra; mais je formule le vœu, en ce printemps qui commence, qu’une autre nouvelle inimaginable à mes yeux nous apporte sans tarder des jours meilleurs !
Carte blanche précédente : « Quand tout se dérègle » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1201 du 20 au 26 mars 2020.
Carte blanche suivante : « Morale de microbe » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1205 du 17 au 23 avril 2020.
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