Champs libres – Débats – Anne Hidalgo se mêle de tout sauf de Paris – Par Benoit Duteurtre dans Le Figaro n°24451 du 1er et 2 avril 2023

Climat, Ukraine, retraite, immigration… Anne Hidalgo se mêle de tout sauf de Paris

BENOÎT DUTEURTRE

Comme si les mots pouvaient remplacer les faits, Anne Hidalgo répète que Paris est «plus beau que jamais » depuis qu’elle s’évertue a le défigurer. Mais elle aime aussi mettre partout son grain de sel : sur la politique nationale et internationale, sur l’Europe, la jeunesse, les femmes, le climat, et tous autres sujets qu’elle commente depuis son bureau du 4e arrondissement. Le soutien affiché de la mairie de Paris au mouvement contre la réforme des retraites – et son indifférence aux empilements d’immondices – fut la dernière manifestation de ce comportement récurrent qui finit par s’apparenter à un détournement de mission. Car un maire, me semble-t-il, devrait d’abord déployer ses efforts pour rendre la cité agréable à ses habitants, favoriser leur vie quotidienne, leurs déplacements, leurs loisirs… Autant de tâches dérisoires pour la présidente du conseil municipal qui utilise Paris comme un outil de communication politique et instrumentalise les Parisiens au service de ses visions, y compris à leur propre détriment.

On se rappelle comment, dès le début de son premier mandat, Anne Hidalgo décida subitement de fermer le dernier tronçon des voies sur berges malgré une décision contraire de la justice. Cette disposition approuvée par beaucoup, mais pas unanimement (ce tronçon désengorgeait le centre de Paris), n’était toutefois que la première d’une série d’annonces par lesquelles la mairie se fixait désormais pour objectif non seulement d’administrer la ville mais de sauver la planète : une priorité imposée à tous les citoyens, quitte à bousculer leur mode de vie et à ruiner la municipalité par d’incessants travaux.

Les méthodes s’apparentent souvent à des gadgets contre-productifs, inadaptés à la réalité urbaine : comme ces entraves à la circulation qui se reporte toujours ailleurs avec son lot de bruit et de pollution; ou cette passion pour les potagers urbains et autres pissoires végétales, allant de pair avec le manque d’entretien des jardins existants et la dégradation de l’espace public – sans parler de l’arrivée des moteurs électriques qui retire toute logique à cette lutte contre l’automobile! Il en va pourtant ainsi : face au charbon allemand et à l’industrie chinoise, les Parisiens doivent participer à ce combat qui complique leur vie au lieu de la faciliter, à moins d’adorer se déplacer à bicyclette (option très insuffisante dans une grande métropole). Mme Hidalgo peut ainsi parader dans les congrès de stars mobilisées pour le climat, puis seriner que son action est «très appréciée à l’international».

S’exprimant sur tous les sujets au nom de la ville de Paris, elle se présente comme le porte-parole de sa population. Rappelons pourtant qu’Anne Hidalgo et ses alliés furent élus, en 2020, par 17% des inscrits avec une abstention de 64% ! Détail insuffisant pour empêcher la téméraire édile de proclamer que Paris tout entier s’oppose à la réforme des retraites, quand, très probablement, une proportion non négligeable de ses habitants pense autrement. Nous avons appris que certains guichets municipaux seraient fermés ou réduits par solidarité, cependant que la municipalité attendait le dernier moment pour s’intéresser au ramassage des déchets pourrissant sous le soleil avant de prendre feu dans les manifestations… Qu’on approuve ou pas le mouvement social, il est permis de s’étonner qu’une administration au service des citadins se présente ainsi comme un acteur de la politique nationale. Rien n’y fait, la ville entière doit servir les prétentions de celle qui, malgré la gifle de 1,75% à l’élection présidentielle, reste persuadée que c’était la faute des autres (les fachos, les machos, l’appareil du PS…); et qui songe déjà à la prochaine présidentielle ou aux prochaines municipales (où jamais, ô grand jamais, elle ne se présentera une troisième fois).

Cette utilisation de la capitale aux fins de communication personnelle se lit dans les tweets et autres messages dont Anne Hidalgo bombarde les réseaux sociaux, et sur cette plateforme de communication qu’est devenue la façade de l’Hôtel de ville. On y découvre que nous, Parisiens, luttons pour les retraites, mais aussi contre les féminicides, les discriminations LGBTQI+, et que nous combattons avec une même ardeur pour les ressources d’eau ou la construction européenne… Causes sans doute excellentes, auxquelles on préférerait toutefois, comme simples citoyens, l’entretien de la ville, la propreté des rues, la lutte contre les tags, une circulation fluide, le soutien au commerce, etc. Loin de ces futiles nécessités, la reine de Paris approuve le mouvement Extinction Rébellion, qui bloque le Châtelet avec des bottes de foin et pourrit la vie de tout le quartier. Encore à la limite de la légalité, elle diffuse des messages municipaux en charabia inclusif plutôt qu’en français. Mieux encore, la mairie s’attribue une vocation de politique internationale et affiche les couleurs du drapeau ukrainien, apportant son obole à la guerre (quand les finances municipales frisent la catastrophe), et autorisant la maire à se rendre deux fois à Kiev pour délivrer des conseils qui auront gêné tout le monde – avant d’exiger que les Jeux olympiques se déroulent sans athlètes russes. Là encore, la voix hidalguienne se présente abusivement comme l’expression d’une ville, donnant envie de lui rétorquer : « De quoi je me mêle? Occupez-vous plutôt de la saturation des transports publics, des réfugiés sous leurs tentes de fortune, des problèmes de drogue qui rongent le Nord-Est parisien, etc. »

On objectera que l’utilisation de Paris comme plateforme d’une carrière personnelle n’est pas nouvelle et qu’elle fut au cœur du mandat du premier maire, Jacques Chirac. Lui-même utilisa cette fonction prestigieuse comme une étape vers l’Elysée. Soulignons toutefois des différences significatives: la première étant que la ville de Chirac était extraordinairement riche, prospère, et non pas au bord de la banqueroute comme celle d’aujourd’hui; ensuite qu’elle mettait en œuvre une politique active d’équipements au service des habitants, comme les théâtres de quartier, les conservatoires, les services sociaux, l’entretien des églises, jardins et monuments qui ne visait pas à sauver la planète entière mais simplement à faciliter la vie locale. La fameuse « ville du quart d’heure» qu’Anne Hidalgo sort de son chapeau existait alors dans chaque quartier. Ces mandats ne furent pas sans taches et il y aurait beaucoup à dire sur certains programmes immobiliers, comme sur la disparition déjà entamée des classes moyennes de la capitale. Du moins cette gestion attentive au terrain allait-elle se poursuivre avec Jean Tiberi (qui n’avait pas d’autre ambition, comme le montre aujourd’hui encore l’excellent état de son 5e arrondissement), et même après l’élection de Bertrand Delanoë – capable d’écouter, contrairement à son ex-première adjointe qui se répète chaque matin devant la glace qu’elle est formidable.

Loin de travailler pour ses administrés, Anne Hidalgo les met au service de causes supérieures (le climat, le progrès sociétal, la politique internationale) qui ne figurent pas au cœur de sa mission. Elle s’exprime en leur nom et les traite comme des écoliers priés de donner l’exemple au monde entier. Ses méthodes inspirent d’autres maires qui, aujourd’hui comme hier, croient bon d’imiter la capitale. Car elle agit au nom de ces « bonnes intentions » qui n’en auront pas moins transformé ses deux mandats en chemin de croix pour le simple piéton de Paris. Sa politique de rachat d’immeubles renforce le déséquilibre d’une ville partagée entre quartiers pour très riches, logements sociaux et meublés touristiques. Les habitants des quartiers populaires n’en peuvent plus des bidonvilles qui prospèrent et de la délinquance qui grandit. Le réseau cyclable serait vertueux s’il n’était excessif, opposant partout les furieux pédaleurs qui sauvent le climat, les piétons apeurés et les automobilistes désemparés – et ce n’est pas un soudain référendum sur les trottinettes qui changera quelque chose. Face à tant d’arrogance et de négligence dans la gestion d’une cité surendettée, les citoyens, mis chaque jour à contribution, auraient quelques raisons de se révolter et d’exiger, pour le moins, davantage de sérieux et de modestie.

*Dernier ouvrage paru: « Dictionnaire amoureux de la Belle Époque et des Années folles » (Plon, août 2022).

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