« Nostalgie de la modernité » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1343 du 8 au 14 décembre 2022

Carte blanche

PHILIP CONRAD / PHOTO 12 VIA AFP

Par BENOÎT DUTEURTRE

NOSTALGIQUE DE LA MODERNITÉ

Quand j’exprime ma nostalgie pour le monde d’avant, on me qualifie parfois d’« antimoderne ». Pourtant, j’ai souvent l’impression contraire: comme si j’étais plutôt un nostalgique de la modernité, balayée par une société en pleine régression.

Quelques illustrations:

– j’admire le progrès scientifique, n’ayant jamais douté, par exemple, que la recherche nucléaire finirait par apporter des solutions à l’épineux problème du traitement des déchets. L’entretien et le développement de cette industrie me semblent plus prometteurs que la destruction des paysages par de hideuses forêts d’éoliennes métalliques, soumises aux caprices du vent qu’il nous faut désormais invoquer, comme dans les temps primitifs. Ma position réac gagne aujourd’hui du terrain, mais combien de temps avons-nous perdu à suivre aveuglément l’obscurantisme vert décidé, par dogmatisme, à détruire cette richesse avant de faire timidement marche arrière… dans le sens du progrès;

– en bon moderne, je suis favorable à l’émancipation de l’esprit humain de toute emprise religieuse. Sans pour autant me reconnaître chez les laïcards fanatiques qui sous- estiment les beautés de l’histoire spirituelle, je crois possible de rire de tout et n’entretiens aucune sympathie pour les croyances barbares qui prétendent s’imposer au nom du fameux « respect », cher à notre monde communautarisé. Je n’aime pas la burka et guère plus le burkini, ni l’obscurantisme qui prend la Bible à la lettre, ni les théocraties moyenâgeuses. Et je ne suis pas moins effaré par le nouveau racialisme qui enferme chacun dans ses seules origines;

– un ouvrage critique sur la musique contemporaine m’a valu, voici fort longtemps, d’être qualifié par certains détracteurs de « passéiste », de « conservateur », quand ce n’était pas de « fasciste ». Pourtant, si j’attaquais les œuvres de Pierre Boulez et de ses successeurs, tout comme celles des artistes conceptuels qui recopient sans fin Marcel Duchamp, c’était précisément parce que ces pseudo-avant-gardistes me faisaient penser à des académistes, reproduisant toujours les mêmes stéréotypes qui se croient révolutionnaires. À mes yeux, l’esprit moderne est tout le contraire: une forme de liberté, d’aventure, d’exploration sans fin que j’appelle de mes vœux;

– quant à la sexualité, il me semblait que les conquêtes du XXe siècle autorisaient à dépasser les vieux modèles familiaux. Tel était le sens du premier féminisme ou des mouvements homosexuels – avant que les mêmes se retournent fanatiquement vers le conformisme du mariage (je trouvais plus moderne le pacs, assorti des mêmes droits sociaux), remettent en cause la mixité de l’hébergement (aujourd’hui à l’École normale supérieure), et entretiennent un lourd climat de dénonciation qui a fini par désigner la sexualité libérée comme le terrain criminel par excellence.

Bref, tandis que la pseudo-modernité veut imposer ses nouvelles normes incritiquables dans leurs variantes woke, artistiques ou environnementales, je suis persuadé que l’authentique esprit moderne consiste à appliquer toujours son esprit critique. Y compris et surtout face à ceux qui prônent l’abandon de la science (Sandrine Rousseau préfère les « sorcières » aux ingénieurs), le respect des fadaises religieuses, l’adoration de n’importe quelle « installation » ou la peur de l’autre sexe; et qui s’autodésignent comme porte-parole du progrès, tout en combattant la liberté de l’esprit comme insupportablement réactionnaire!■

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.