Carte blanche
À BENOÎT DUTEURTRE
LE ROI, LA MAIRE ET LE PARAPLUIE
La Mairie de Paris montrait, ces derniers temps, un intérêt embarrassé pour le marché aux fleurs, ce merveilleux îlot de verdure niché, depuis plus d’un siècle, entre les administrations du quartier de la Cité. Anne Hidalgo, dit-on, a longtemps trouvé l’endroit « un peu mort », en regard de la vitalité jeune, sportive et festive qu’elle rêve d’éveiller partout dans la capitale. Elle avait même parrainé, avec François Hollande, un projet confié à l’architecte Dominique Perrault, qui envisageait d’engloutir les pavillons sous un dôme transparent pour y développer des activités branchées, des animations, du fooding, etc. L’incendie de Notre- Dame avait providentiellement interrompu ces élucubrations.

Au lendemain des élections municipales de 2020, l’équipe municipale se voulant plus attentive au patrimoine après les alertes de #Saccage Paris – a donc modifié sa copie pour annoncer une simple rénovation du marché, qui devrait être conservé dans son état d’origine. Mais on se demande pourquoi cette simple rénovation suppose l’organisation d’un concours d’architectes, et s’il ne suffirait pas d’entretenir ce lieu dont la moitié des pavillons sont désormais fermés, tagués, défigurés… comme s’il fallait rendre nécessaire un chantier qui ne s’imposait pas. Quant aux fleuristes, inquiets, ils ignorent comment la municipalité entend réorganiser cette halle où elle a déjà interdit le marché aux oiseaux – cher à beaucoup de Parisiens – sous la pression du mouvement animaliste Zoopolis.
Enfin, le 22 septembre 2023, un petit miracle s’est produit: un miracle royal, apparemment plus efficace que toutes les protestations de citoyens. On sait que la reine d’Angleterre adorait ce marché, où elle s’était rendue en 2014 et qui s’était vu rebaptisé pour l’occasion « marché aux fleurs Reine-Elizabeth II ». Après la réception de la souveraine à l’Hôtel de Ville, quelques fins observateurs avaient alors remarqué ce détail ironique, sous la pluie battante: la reine tenait elle-même son parapluie, tandis que celui de la farouche maire socialiste, élue quelques jours plus tôt, était tenu au-dessus de sa tête par un larbin! La Mairie de Paris n’imaginait pas, toutefois, que le roi Charles III, neuf ans plus tard, pour sa première visite officielle, voudrait retourner au marché aux fleurs. Sans doute espérait-on qu’il souhaiterait découvrir les autoroutes à bicyclettes ou les bancs publics en poutres de chantiers… Nenni, le bon Charles III a préféré ce modeste marché qu’il a fallu nettoyer en hâte. Les pieds des arbres, envahis de déchets et de mauvaises herbes, ont soudain pris un coup de frais. Mais, surtout, la maire était là pour accueillir le souverain sous la pluie, tenant cette fois son propre pépin et abritant même son premier adjoint, Emmanuel Grégoire, comme pour rappeler que la gauche parisienne n’a, en matière de simplicité, rien à envier à la noblesse britannique. On l’a vue ensuite servir de guide au couple royal, dans ces allées fleuries qu’elle semblait si bien connaître et tant aimer – après avoir voulu les transformer radicalement.
Mais le point culminant de cet événement politico-mondain aura été l’annonce inattendue faite par Anne Hidalgo, dans l’enthousiasme du moment, aux commerçants installés sous ces halles depuis des générations: elle a promis-juré que les fleuristes retrouveraient leurs commerces après les travaux, qu’on ne céderait pas les pavillons à d’autres activités, que le marché aux fleurs continuerait tel quel – ce qui est une bonne nouvelle, même si on pourrait se contenter de rouvrir les pavillons inutilisés et de les réhabiliter discrètement, au lieu de lancer un concours et un onéreux chantier.
On sait ce qu’il faut penser des promesses d’Anne Hidalgo, la femme qui jamais ne se présentera à la présidentielle et qui, jamais, n’augmentera les impôts locaux… Elle aime faire des coups plus que de la politique. Mais le fait est que l’onction royale pourrait bien avoir sauvé le marché aux fleurs, comme si notre bouillante édile de vraie gauche avait mesuré que les Windsor, en matière de communication et d’image, ont une cote nettement plus élevée que la sienne, et que ce coin de Paris, cher à Elizabeth II et à Charles III, mérite d’être simplement préservé. ■
86/Marianne / 5 au 11 octobre 2023