Le tendre et sublime dernier roman de Benoît Duteurtre par Philippe Lacoche dans Le Courrier Picard du 10 juin 2021

Il se replonge avec délice et mélancolie dans son enfance vosgienne. La France d’avant y est exaltée ; la stupide modernité, conspuée. Ça fait un bien fou !

 

 

Quel beau roman ! Benoît Duteurtre nous avait habitués à l’excellence ; une fois encore avec son dernier roman, Ma vie extraordinaire, il ne nous déçoit pas. Roman ? En partie seulement. Il eût pu être un récit autobiographique déguisé ; il n’en est rien car ce texte foisonnant convoque, à la faveur de certains chapitres, la fiction, voire la science-fiction (notamment dans les chapitres « Le loup de Belbriette », déclinés en trois fois rémanentes dans les trois époques de l’opus ; il y imagine un monde nouveau). Pour le reste, il nous invite à le suivre dans son enfance, dans son adolescence, dans sa vie d’adulte, et dans le présent en revenant sans cesse sur le fil rouge de son habile construction : il fait découvrir à son jeune compagnon, le doux et subtil Jean-Sébastien, les Vosges de ses tendres années.

« Une fois de plus, le hardi Benoît nous a étonnés. »

Des Vosges, il en est question, et on est en droit de ne point s’en plaindre. Il ne faut pas le crier trop fort afin de ne pas attirer les flux touristiques, mais ces montagnes arrondies, douces et sensuelles comme les fesses d’une dame mûre, sont certainement l’endroit le plus charmant, le plus attrayant (avec le port du Havre, Tergnier et la plage de Saint-Adresse, bien sûr) de notre si beau pays qu’est la France. Qui ne connaît pas Le Valtin et sa fraîche cascade, sa douillette auberge qui la contemple, n’a pas encore accompli le tour complet de la piste cendrée du bonheur. « Le Grand-Valtin Commune de Ban-sur-Meurthe. C’était alors comme si je lisais “ entrée du pays merveilleux”…»

Une vie dans une nature sublimée

Cette nature des Vosges, Benoît Duteurtre la restitue avec poésie, gourmandise, sensibilité, sans emphase et sans affèterie ; et, souvent, on pense aux meilleures pages de Giono, de Pergaud, de Bosco, de Dhôtel, de Cendrars (et ses cressonnières dans L’Homme foudroyé). C’est tout simplement magnifique. Dans ces paysages féériques qu’il retrouve son grand-oncle Albert et Rosemonde, son épouse, couple de résistants de haut vol, courageux héros gaullistes qui ont combattu la barbarie nazie. De l’Allemagne, il en est aussi souvent question en ces terres au patriotisme exacerbé; on comprend que celle-ci n’est pas toujours la bienvenue dans la mémoire des Lorrains.

Benoît Duteurtre évoque également avec passion les musiciens (ceux de la musique française, de l’opérette) et les comédiennes du monde d’avant qu’il a eu le plaisir de rencontrer : Jean Hubeau, Jean Lafont, Suzy Delair et autres vielles dames délurées, charmantes qu’on eût tant voulu écouter et chouchouter. Les ridicules avant-gardes gestapistes, la prétendue modernité totalitaire en prennent pour leur grade ; ça fait un bien fou. Du reste, la totalité de ce roman si français, parfois mélancolique et nostalgique (on pense parfois à l’émouvant Adios, de Kléber Haedens) fait un bien fou. Une fois de plus, le hardi Benoît nous a étonnés.

Ma vie extraordinaire , Benoît Duteurtre ; Gallimard ; 322 p. ; 20 €.

 

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