« C’était un homme libre » : l’hommage de Benoît Duteurtre à son ami Milan Kundera

Littérature

Par Benoît Duteurtre

Publié le 12/07/2023 à 14:37

Il en était un proche et peut-être un des plus grands connaisseurs de son œuvre. Notre chroniqueur, l’écrivain Benoît Duteurtre, rend hommage au romancier qui se fera connaître avec son premier livre, « La Plaisanterie ». Au passage, il tord le cou au cliché de « l’auteur dissident », appellation qui irritait Kundera lui-même.

Quand j’ai connu Milan, au début des années 1990, il passait pour un personnage inaccessible. Selon certaines rumeurs, il menait avec son épouse une vie monacale et rejetait tout contact avec le monde extérieur. Quelques-uns s’étonnaient d’un tel comportement : « Il refuse toute interview, toute invitation dans les médias. » J’entendis même un écrivain juger « prétentieux » ce choix du silence et de l’éloignement, telle une insulte aux valeurs d’une époque où il importe de communiquer… Sauf que cette image de personnage farouche et inaccessible – qu’il entretenait probablement pour qu’on le laisse tranquille – ne correspondait en rien au Kundera que j’allais bientôt rencontrer.

Il avait eu la gentillesse de m’envoyer une carte postale (illustrée par un tableau de Fernand Léger) pour me dire quelques mots encourageants sur un de mes premiers romans qui n’avait connu aucun succès. Peu après, lors notre premier déjeuner, dans une brasserie parisienne, j’allais découvrir un homme merveilleusement chaleureux, amical (le tutoiement viendrait bientôt), attentif à mes petits travaux, tel un aîné généreux, aimant recréer une forme de camaraderie littéraire, et qui pouvait téléphoner à n’importe quelle heure pour discuter d’un sujet qui l’intéressait. Avec sa femme Vera et avec leurs amis choisis, ils formaient une sorte de famille où peut-être il n’était pas facile d’entrer, mais à l’intérieur de laquelle tout était simple, franc, cordial – jusqu’à ces visites qu’on leur faisait l’été, au Touquet, où on arpentait longuement le rivage pieds nus, en maillot de bain, avant de s’attabler dans un bon restaurant des environs.

La musique, cœur battant de l’écriture de Kundera

Tel était le style de vie de cet écrivain qui, en 1975, avait quitté la Tchécoslovaquie pour s’installer en France, un des premiers pays à l’avoir reconnu dès la traduction de La Plaisanterie en 1968. La France, en outre, avait entretenu une relation privilégiée avec la Tchécoslovaquie de son enfance, née du traité de Versailles dans cet étrange découpage des nations européennes dont il est souvent question dans son œuvre. À la fin de la Première guerre mondiale, son père, Ludvik Kundera, pianiste de haut vol et disciple de Leos Janacek, était venu étudier à Paris auprès d’Alfred Cortot, avant de retrouver Brno où il avait pris la direction du conservatoire Janacek – disparu en 1928, un an avant la naissance de Milan.

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