« Le divorce pour tous » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1372 du 29 Juin 2023

Carte blanche

PAR BENOÎT DUTEURTRE

LE DIVORCE POUR TOUS

J’entends qu’on célèbre les dix ans du mariage pour tous, que les maires revêtent des écharpes arc-en-ciel, qu’on convie sur les plateaux les premiers époux du même sexe et que Christiane Taubira est honorée comme une sainte laïque… Très bien. J’en suis ravi pour ceux qui ont trouvé dans cette loi une réponse à leur conception de l’égalité. Je figurais moi-même, dès 1996, parmi les signataires de la première pétition lancée par Didier Eribon en faveur du « cuc» : contrat d’union civile et ancêtre du pacs qui permettait à toutes les personnes vivant ensemble d’obtenir des droits proches de ceux du mariage. Puis, lorsque le pacs est entré en vigueur, je l’ai trouvé si moderne et adapté à notre société (c’est pourquoi nombre d’hétérosexuels le privilégient désormais) que j’aurais souhaité le voir évoluer encore pour accorder, comme dans certains pays, des droits vraiment équivalents à ceux du mariage. Celui-ci m’est toujours apparu, en revanche, comme un rituel social aux racines religieuses fort éloigné de mon style de vie, avec son cadre conçu pour la vie familiale et ses serments éternels aboutissant le plus souvent à un divorce pour tous. Bref, j’ai trouvé dommage que les homosexuels, après avoir acquis la liberté de vivre à leur guise, finissent par revendiquer, comme le nec plus ultra, ce modèle dépassé que le pacs pouvait leur économiser. J’ai exprimé deux ou trois fois ces idées polémiques à l’instar d’une Marie-Josèphe Bonnet, auteure de l’excellent Adieu les rebelles!, où elle s’exclame : « Le mariage considéré comme un progrès social, c’est un comble!»

À rebours de telles réflexions, le gouvernement Hollande a fait du mariage pour tous la mère de toutes les batailles, épousant la demande des militants LGBT, qui prétendent représenter une supposée communauté homosexuelle. Ce choix rejoignait, certes, un mouvement amorcé dans tout le monde occidental. Il permettait aussi de jouer la grande scène du progrès contre la réaction, en piquant au vif des milieux traditionalistes qui continuent à voir dans le mariage stricto sensu une coutume religieuse et familiale inadaptée aux couples de même sexe. Nous avons alors assisté à ces défilés de la Manif pour tous, où certains comportements ont pris un caractère franchement homophobe. Les activistes gays en ont profité pour diffuser l’idée, plus insidieuse, que la moindre réserve sur le mariage serait, elle-même, une manifestation d’homophobie – répréhensible dans un pays où l’homophobie est à juste titre combattue par la loi. L’expression de la haine anti-Taubira allait certes franchir des limites intolérables. Mais je connais aussi nombre de personnes conservatrices, attachées à la définition du mariage entre un homme et une femme, qui ne souhaitent pas pour autant en découdre avec les gays, ni remettre en cause leurs droits au sein d’une société objectivement de moins en moins homophobe (sauf dans certains milieux ultra-religieux).

Loin de ces débats sémantiques auxquels le pacs apportait une première réponse, les militants, relayés par les pouvoirs publics, désignent désormais le mariage, avec la Gay Pride, comme le principal marqueur de la liberté sexuelle dans une démocratie, et même comme une composante du droit républicain et européen. Chacun doit y faire pleinement allégeance pour ne pas se voir suspecté du pire. Ces esprits tolérants ont pu ainsi tirer à vue sur une ministre anciennement opposée à la loi Taubira et coupable d’une phrase malheureuse sur « ces gens-là » – comme si elle avait appelé à la déportation des gays; puis sur un footballeur coupable de ne pas porter les couleurs communautaristes importées d’Amérique.

Cette conception de la liberté rejoint celle des wokistes en tout genre, qui accolent l’étiquette d’extrême droite à ceux qui ne pensent pas comme eux, tout comme celle d’homophobe à quiconque n’adhère pas intégralement à leurs revendications. Quant à moi, qui voudrais léguer mes biens à celui avec lequel je vis depuis très longtemps, me voilà, par leur faute, obligé d’en passer par la case mariage et d’aller dire oui dans un cérémonial où je ne me reconnais pas – quand j’aurais préféré qu’un contrat d’union civile accompli m’accorde les droits propres à la vie de couple, sans devoir me soumettre au kitsch des épousailles.■

86/Marianne / 29 juin au 5 juillet 2023

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.