« Le désir de pluie » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1376 du 27 Juillet 2023

Carte blanche

À BENOÎT DUTEURTRE

LE DÉSIR DE PLUIE

Comme beaucoup de mes semblables en ces temps de crise climatique, je consulte nerveusement les prévisions météo. Quand les débuts d’été se font plus secs et plus chauds, les hivers, plus arides et moins neigeux, je guette, jour après jour, sur des sites spécialisés, l’arrivée tant espérée d’une prochaine perturbation. Dans mon village de montagne, longtemps réputé humide et frais, j’attends la pluie comme on attendait autrefois le soleil. Mais j’observe aussi, avec perplexité, ce phénomène récurrent sur le site de Météo France: à savoir que l’arrivée de ladite perturbation, apportant des jours d’humidité susceptibles d’alimenter les ruisseaux et de recharger les nappes phréatiques, est régulièrement annoncée mais recule jour après jour. Elle se laisse espérer avant d’être chaque fois reportée. Le 5 du mois, on prévoit la pluie pour le 15; or le 8 je découvre qu’elle n’arrivera que le 20, et quand on arrive au 15, la vague de fraîcheur est toujours annoncée, mais pour le 25 où parfois, quand même, elle finit par se confirmer! Sans doute ce phénomène correspond- il à une mécanique du climat qui dépasse mes compétences. Cependant, je me demande parfois si les météorologues – qui aimeraient eux aussi voir les choses s’arranger et le ciel recouvrer un meilleur équilibre – ne privilégient pas le moindre signe susceptible de nous remonter le moral… avant de s’aviser que l’espoir s’éloigne et qu’il va falloir attendre encore.

Voici quelques années, les villageois parlaient de la « neige à touristes », , désignant ces chutes de flocons régulièrement annoncées, qui ne se produisaient pas toujours mais qui faisaient converger les vacanciers vers les stations. Je ne suis pas assez complotiste pour croire que ce genre de calcul ait vraiment existé, et je ne crois pas davantage à de fausses prévisions de fraîcheur entretenues par les spécialistes. Il est toutefois possible que certains professionnels de la météo tentent de s’accrocher aux tendances les plus favorables. Comme eux, je scrute les nuages à l’affût du moindre détail qui annoncerait la renaissance du climat tempéré; je songe à ces tribus indiennes accomplissant des invocations pour que la précieuse eau tombe enfin du ciel, et à tous ces films où des peuples, menacés par la sécheresse, accueillent par des cris de joie la pluie qui leur sauve la vie. Je voudrais que tout redevienne comme avant, même si je sais que c’est impossible et qu’il faut accepter la réalité : ces ruisseaux asséchés dès le début de l’été, cette fontaine tarie devant la maison, ces foins terminés avec un mois d’avance, ces épicéas malades, cette chaleur excessive.

Je me console en songeant que ma région fait encore figure de paradis climatique, avec ses immenses forêts de sapins où l’ombre entretient une température plus clémente; avec ses pâturages d’altitude qui offrent aux vaches une herbe grasse et fleurie quand les prairies de la plaine sont desséchées; avec ses nuits qui, même en pleine canicule, vous obligent le soir à enfiler un pull-over, quand on n’allume pas un feu dans la cheminée. En ces temps arides où la pluie se fait attendre, je songe à l’avantage d’habiter une contrée longtemps réputée ingrate, quand j’aurais pu bêtement opter pour le Luberon, le Lot, la Côte d’Azur, où les étés deviennent impossibles. Les touristes, dit-on, commencent à s’enfuir pour remonter vers la Bretagne et la Normandie. Ma sévère montagne du nord-est de la France deviendra bientôt plus prisée que les Maures ou l’Esterel. Il me faut m’habituer à ces transformations, mais je préférerais que le réchauffement fasse marche arrière, qu’un extraordinaire phénomène se produise et que, d’un dérèglement à l’autre, le réchauffement se transforme en rafraîchissement qui ranime- rait les beaux jours de ma jeunesse : quand le mercure, début juillet, ne dépassait pas toujours les 12 °C; quand le mois d’août était parfois si humide sous une pluie battante que les adultes devaient rivaliser d’imagination pour occuper les enfants; quand on se plaignait (déjà) de ce froid et qu’on attendait le journal, livré par le facteur, pour découvrir sur la carte météo l’annonce d’un rayon de soleil… ce soleil qui, chaque jour, se voyait reporté plus loin, au point qu’on se demandait si les météorologues ne se moquaient pas un peu de nous en agitant ce faux espoir.■

86/Marianne/27 juillet au 2 août 2023

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