Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE
LE SQUARE DE NOTRE-DAME
Sous ses airs de femme dure, cassante, insensible à la critique, Anne Hidalgo est en fait une baba cool. Nous avons quasi le même âge, et je me rappelle comment nous rêvions, durant les seventies, d’un monde sympa, ouvert, jeune, où on jouerait de la guitare assis dans l’herbe en regardant butiner les papillons… Voilà ce qu’Anne imagine toujours pour Paris, qu’elle préférerait débarrassé de ses décors bourgeois et de ses aménagements trop urbains pour y créer des espaces de liberté, pleins d’artistes de rue et de bicyclettes. Elle vient encore d’en faire la démonstration avec les projets de transformation de l’île de la Cité, où la Ville projette d’arracher les grilles qui protègent le ravissant square Jean-XXIII – aménagé en 1840 au chevet de la cathédrale, avec ses parterres de fleurs, ses recoins ombragés et sa fontaine néogothique. Dans ce décor parisien emblématique, la municipalité souhaite aménager de grandes pelouses où l’on pourra, comme à Central Park, venir s’allonger jour et nuit, pique-niquer et folâtrer. Elle a déjà tenté l’expérience au Champ-de-Mars, qui s’est transformé en champ de ruines, avec sa végétation ravagée, ses déchets, son insécurité. Mais Anne Hidalgo, en bonne baba, ne veut pas voir le mauvais côté des choses. Tel Pierre Perret, dans son clip Paris saccagé, elle pédale au milieu des ordures, des trous de chantier et des herbes folles sans se départir d’un sourire collé aux lèvres, comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

On dirait, en fait, qu’Hidalgo et son équipe n’ont aucune idée de la beauté particulière de Paris, ni des spécificités de ce décor urbain qu’il convient d’entretenir au lieu de le refaçonner selon des modes prétendument conviviales. Le minuscule square Jean-XXIII n’est pas Central Park, et la magie des petits jardins parisiens tient dans leur organisation à la française, leurs plates-bandes fleuries et leurs bancs publics (qu’on veut remplacer par du mobilier « contemporain » pour montrer qu’on est moderne). S’ils sont entourés de grilles et fermés le soir, c’est pour les protéger des dégradations (ce que faisaient aussi les gardiens de squares dans leurs guérites à l’abandon).
Mais Anne la baba ne voit dans tout cela que d’assommantes conventions; s; c’est pourquoi elle veut faire enlever ces satanées grilles – tout comme elle a entrepris de réformer le marché aux fleurs tout proche, ce ravissant vestige de l’ancien Paris où les marchands d’oiseaux ont été priés de cesser leur commerce barbare. La ville envisage d’y implanter du fooding et diverses animations mieux adaptées au flux de bobos.
Voici plusieurs années que la reine Anne veut transformer l’île de la Cité. La fermeture partielle de l’Hôtel-Dieu (contre laquelle la municipalité ne s’est guère battue), mais aussi le départ des services de police et de justice pouvaient justifier certains aménagements. La Mairie, épaulée par le président François Hollande, a préféré redessiner le quartier tout entier pour y édifier une base touristique à l’égal de l’esplanade du Louvre ou des environs de la tour Eiffel. Suspendu après l’incendie de Notre-Dame, le projet a resurgi en incluant non seulement ce square Jean-XXIII, qui jouxte la cathédrale, mais aussi son voisin, le square de l’Île-de-France, qui abrite le Mémorial des martyrs de la déportation. Pour implanter les nouvelles pelouses, il est prévu de faire fusionner les deux jardins comme des entreprises du CAC 40. Anne la baba aime toutefois les « consultations citoyennes » qu’elle a lancées sur ce sujet, comme sur d’autres… pour, finalement, une fois de plus, négliger l’avis des Parisiens, très majoritairement favorables au maintien des lieux en l’état. Outre les grandes pelouses, la maire et son premier adjoint, Emmanuel Grégoire, veulent aussi planter de grands arbres le long du quai aux Fleurs, qui, pourtant, présente une des plus belles vues « minérales » (mot désormais honni) de la capitale avec ses immeubles de pierres tombant droit sur la Seine. Mais Anne est bonne fille. Elle veut faire notre bien, y compris contre nous-mêmes… C’est pourquoi les 50 000 signatures, une consultation citoyenne, des articles argumentés ne semblent pas près de pouvoir interrompre ce nouvel épisode des saccages urbains, saison 9 (il en reste encore trois à tirer). ■
86/Marianne/15 au 21 juin 2023