« Opérette Marseillaise » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1289 du 26 novembre au 2 décembre 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

OPÉRETTE MARSEILLAISE

Quand son nom revient dans l’actualité, c’est toujours à propos de règlements de comptes, de gestion fumeuse ou de quartiers qui s’effondrent… J’aimerais donc souligner, à l’approche des fêtes de fin d’année, que la bonne ville de Marseille est la seule en France à conserver, contre vents et marées, un théâtre d’opérette. Situé en haut de la Canebière, l’Odéon propose d’applaudir, ces 27 et 28 novembre, le réjouissant Là-Haut, de Maurice Yvain, avant l’Auberge du Cheval-Blanc, Véronique ou la Veuve joyeuse. Alors que Paris néglige ce genre si parisien, la capitale du Sud propose tout au long de l’année de vraies productions avec orchestre, chœur, chanteurs et fantaisistes de talent. Il paraît que Jean-Claude Gaudin, l’ancien maire, était personnellement attaché à ce genre populaire. On ne peut donc que féliciter la nouvelle mairie de jouer la continuité sous la houlette de Maurice Xiberras, directeur de l’Opéra de Marseille. Pour lui, ces spectacles présentés chaque mois à l’Odéon, en alternance avec des comédies de boulevard, sont aussi l’occasion de découvrir et d’encourager de jeunes artistes. Quand, trop souvent, les changements d’équipes municipales se traduisent par la suppression d’activités culturelles dites ringardes, remplacées par des affiches supposément plus branchées, Marseille affiche cette belle singularité qui devrait valoir à l’Odéon le titre de « théâtre national d’opérette ».

Il est vrai que l’opérette et le music-hall ont une longue histoire dans cette ville. On peut voir encore, près du Vieux-Port, l’ancienne porte monumentale de l’Alcazar, où débutèrent Tino Rossi et Yves Montand. Ce portail est désormais l’entrée d’une bibliothèque, mais Marseille reste, de loin, la ville française la plus chantée après Paris. Aucune n’a inspiré d’aussi nombreux refrains ni vu grandir autant d’artistes montés à la capitale avec leur accent, à l’instar de Raimu et de Fernandel. Plus encore après les triomphes de Pagnol, la mode marseillaise allait s’imposer partout en France, comme en témoignent les « opérettes marseillaises » créées dans les années 1930… pour la plupart à Lyon et Paris ! Les refrains de Vincent Scotto sont restés dans les mémoires, à l’exemple du Plus Beau Tango du monde ou du Petit Cabanon, enregistré par Alibert en duo avec la charmante Gaby Sims et leur inénarrable « jazz marseillais » (en réalité un orchestre de music-hall). Il paraît donc naturel que cette veine ait trouvé refuge dans la cité phocéenne, au théâtre de l’Odéon, qui en programme régulièrement, mais aussi à l’Opéra voisin de Toulon, qui s’évertue à donner une place au genre léger – sans oublier les groupes qui revisitent la tradition marseillaise tels Quartiers Nord ou Massilia Sound System.

Si Marseille nous inspire depuis plusieurs années, c’est également par la remarquable programmation de son opéra, ce monument Art déco récemment rénové qui est devenu le sanctuaire du répertoire français. Déjà, dans les années 2000, sa directrice, Renée Auphan, avait remis à l’honneur quantité de trésors oubliés, comme l’Aiglon, d’Ibert et Honegger, les opéras d’Henri Tomasi ou ceux de Jean-Michel Damase. De même, son successeur, Maurice Xiberras, fait la part belle à ce répertoire avec des raretés, comme le Salammbó, de Reyer (illustre compositeur marseillais de la fin du XIXe siècle) ou le Cid, de Massenet, en attendant, en cette fin d’année, une grande production du Voyage dans la lune, d’Offenbach (l’Odéon propose également une intégrale des opérettes en un acte d’Offenbach, présentées par Jean-Christophe Keck). Il n’y a guère à Paris que l’Opéra-Comique pour faire aussi bien, mais c’est sa mission de théâtre national. La municipalité parisienne, en revanche, a préféré nommer au Châtelet, en 2017, une Britannique superbranchée… finalement limogée vu le désastre de sa programmation, politique et dégenrée à souhait. L’actuelle direction du grand théâtre parisien semble heureusement vouloir remettre à l’honneur quelques divertissements, comme un alléchant Cole Porter in Paris, à partir du 11 décembre. Une première étape, on l’espère, en attendant que les édiles culturels de la capitale finissent par redécouvrir leur belle histoire et la remettent à l’honneur en s’inspirant de l’exemple… marseillais.

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