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LE MONDE D’APRÈS
DÉNONCEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES,
BENOIT DUTEURTRE, Fayard, 198 p., 18 €
Renouant avec le ton de La Petite Fille et la cigarette, Benoît Duteurtre nous offre en cette rentrée légèrement anxiogène une petite fable caustique du meilleur effet. L’écrivain nous plonge dans une France d’après-demain à travers les aventures d’une famille où le fils, Barack (en référence à Obama), depuis qu’il est majeur, attend que sa copine, Robert (pour faire mentir les assignations de genre), de quelques mois sa cadette, le rejoigne dans cette majorité administrative avant de recoucher avec elle; où le père, Mao (on a parfois le malheur d’avoir des parents communistes), contrairement à son fils, rechigne sur de nombreux points au formatage progressiste, se laisse servir à table par sa femme Annabelle, qui ne s’en trouve quant à elle point humiliée. Les carnivores doivent désormais tuer eux-mêmes leur animal pour mesurer la cruauté de leurs mœurs, une outrance qui en est à peine une, quand on voit que même un député communiste peut être aujourd’hui fascisé s’il s’aventure dans l’apologie périlleuse de la côte de bœuf… Dans cette prospective si proche où le lynchage vertueux est un art officiel et où la jeunesse est dressée à la dénonciation, quelques vieux originaux en viennent à prétendre que le souvenir du monde d’avant reste plus habitable qu’une pareille réalité. Faussement exagérée et faussement légère, la fantaisie de Duteurtre, toute ironique qu’elle soit, soulève un vrai malaise. Un bon comprimé doux-amer contre la pandémie du nouveau politiquement correct.
ROMARIC SANGARS