Benoît Duteurtre – « Objectif catacombes » par Olivier Maulin dans Valeurs actuelles du 17 Février 2022

CULTURE

Objectif catacombes

Benoît Duteurtre imagine le monde de demain dans un roman drôle et fantaisiste qui n’en dénonce pas moins la folie puritaine s’abattant sur notre pays.
Par Olivier Maulin

 

Farce de caractère satirique jouée par des acteurs en costume de bouffon, allégorie de la société du temps. C’est la définition d’une sotie, tirée du Robert, que Benoît Duteurtre a souhaité mettre en exergue de son nouveau roman, et cette définition lui tient évidemment lieu de programme littéraire. Des soties donc, soit des petites scènes thématiques qui s’articulent entre elles pour former une histoire, celle de Mao, ancien directeur des services culturels municipaux accusé de harcèlement sexuel par une blogueuse anonyme. L’affaire est suffisamment grave que pour la “brigade rétroactive” s’en empare.

Cette force spéciale, créée sous la pression des associations pour répondre à la multiplication des accusations d’abus sexuel, ignore la prescription et a pour mission de passer au peigne fin la vie intime des suspects dans le but d’en faire remonter les comportements déviants et d’apporter la preuve des dommages subis par la victime, laquelle a par définition raison. En vertu de la loi “Dénoncer et Protéger”, les citoyens sont invités à communiquer à cette brigade, via une plate-forme anonyme, toute violence sexiste, mais aussi tout propos discriminatoire ou toute atteinte à l’environnement…

On l’aura compris, c’est l’évolution puritaine de notre société et sa pro-

ON POURRAIT PLEURER DU PURITANISME DE L’ÉPOQUE, BENOÎT DUTEURTRE A CHOISI D’EN RIRE.

 

pension à transformer en délit un clin d’œil adressé à une femme qui forment le cœur de ce roman. On pourrait en pleurer, Duteurtre a choisi d’en rire. Lorsque les policiers découvrent un vieux tweet dans lequel Mao doute de la pertinence du mariage homosexuel, son dossier s’alourdit en vertu de la loi corrective (et rétroactive) sur les minorités stipulant qu’« exprimer des réserves contre le mariage gay est assimilable au délit d’homophobie ».

On le sait, l’idéologie a sa logique propre, et c’est en déroulant celle à l’œuvre aujourd’hui que l’écrivain construit son monde de demain. Un monde où, pour responsabiliser les carnivores, on les oblige à abattre eux-mêmes les animaux qu’ils souhaitent consommer; où les jeunes gens de 18 ans attendent que leur fiancée soit majeure à son tour pour l’embrasser et éviter ainsi toute poursuite; où les coupables de propos sexistes sont invités à faire leur autocritique sur scène sous les huées des collégiens; où les codes-barres des sacs-poubelle permettent de surveiller que l’on procède correctement au tri sélectif; où le climato-scepticisme, enfin, est considéré comme « un délit susceptible de démobiliser la population »

Dans cette société froide comme la mort, nettoyée de toute aspérité comme de son passé, subsistent quelques reliquats du monde d’avant, transformés ipso facto en dissidents. C’est le cas de Giuseppe di Meo, un vieil artiste mondain qui aime « la séduction, la viande rouge, la cigarette, les conquérants », vit coupé du monde dans une ancienne usine qu’il a transformée en palais féerique où il reçoit quelques amis triés sur le volet, cultivant le plaisir de la conversation. La liberté est-elle à la veille de se réfugier dans les catacombes ? C’est bien ce que nous dit Duteurtre dans cette farce aux airs de tragédie. •

« Dénoncez-vous les uns les autres », de Benoît Duteurtre, Fayard, 198 pages, 18 €

 

 

 

 

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