Carte blanche
À BENOÎT DUTEURTRE
LA FEMME SANS OMBRE
Pardon d’y revenir, mais l’actualité m’y pousse et – autant l’avouer – ma maire me fascine. Moi qui suis continuellement traversé par le doute, j’observe avec envie cette femme qui décla- rait au communicant Gaspard Gantzer: «Chaque matin, je me lève en me disant que tout le monde m’aime. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ça m’aide à ne pas me poser de questions. » Est-ce une force? Est-ce un défaut? La notion même de mensonge ne semble pas l’effleurer. Promettant de se consacrer pleinement à son mandat sans aller à la présidentielle, elle se présente quelques mois plus tard, avec le résultat qu’on sait. Promettant à ses électeurs de ne pas augmenter les impôts, elle augmente allègrement la taxe foncière, comme la chose la plus naturelle. Pis encore, si d’aventure, la tromperie est trop visible, c’est toujours la faute des autres. L’enjeu de la présidentielle et son score piteux? C’est la gauche qui s’y est prise comme un manche. L’augmentation des impôts? C’est le gouvernement qui n’a pas donné l’argent prévu. Anne fonce droit devant, sans douter d’avoir embelli Paris et contribué à sauver la planète. Elle file en Ukraine conseiller Zelensky sur l’installation de pistes cyclables à Kiev, et se montre fière de faire la bise à Leo DiCaprio, comme une preuve du soutien dont elle bénéficie dans le monde entier.
La politique selon Hidalgo suppose de rebondir toujours, sans véritable boussole, mais au gré de ses intérêts et de son image. On vient de le voir à son retour de Tahiti, où des responsables parisiens sont allés visiter les installations des épreuves de surf, comme si leur déplacement était indispensable, en grillant au passage du carbone pour six personnes… tandis que la maire publiait sa photo en train de pédaler sur un Vélib. Attaquée de toute part, Anne a répliqué de sa façon inimitable, sans faire profil bas, mais en lançant de nouveaux coups pour détourner l’attention. C’est sa tactique depuis la fermeture inopinée des voix sur berges: prendre des décisions à l’emporte-pièce et les imposer bruyamment pour montrer sa volonté. Cette fois, ce sera la limitation de vitesse sur le périphérique, une illustration de la méthode punitive dont elle raffole, surtout quand la punition touche les millions d’habitants de la périphérie : ils devront rouler au ralenti, même aux heures creuses. Mais ce n’est pas tout, car la méthode Hidalgo suppose également de dénoncer. D’où cette deuxième annonce, dans l’émission « Quotidien », où elle a pointé le grave retard des transports en commun à quelques mois des jeux Olympiques. Elle est certes partie prenante de ces chantiers (bien qu’elle n’ait guère participé aux travaux, selon Clément Beaune). Mais sa sortie aura surtout pointé les failles de l’État et de la région Île-de-France, comme pour préparer les esprits à une catastrophe dont elle ne saurait être vraiment responsable.
Cette sorte de politique n’a pas même besoin de cohérence. Car la maire qui prétend encourager les citoyens à prendre les transports en commun devrait s’attacher à leur amélioration avant d’entraver la circulation des véhicules. Elle fait tout le contraire, punissant d’abord les conducteurs, puis les mettant en demeure d’utiliser un réseau défaillant et saturé. Elle dédaigne les souffrances quotidiennes infligées par sa politique à ceux qui subissent les métros bondés, les trottoirs dégueulasses, les campements improvisés et l’insécurité. Autant de catastrophes qu’elle préfère attribuer à ceux qui les dénoncent, aux comploteurs de #SaccageParis, à l’extrême droite, aux misogynes et à quiconque se permet de critiquer son action. Il se trouve même encore quelques voix, dans les médias, pour estimer qu’elle serait victime d’acharnement, quand c’est elle qui s’acharne contre les Parisiens, priés de subir ses lubies, sous prétexte que 17 % des électeurs lui ont accordé ce deuxième mandat. Elle y voit un permis de foncer dans le mur, entraînant avec elle les finances de la ville et les générations futures. Tel est le tourbillon pathétique et fascinant contre lequel on pourrait se révolter, pétitionner, manifester quotidiennement aux portes de l’Hôtel de Ville pour que cesse enfin le grand n’importe quoi… quand nous nous contentons de subir et d’observer, médusés, ce mélange fascinant d’arrogance et d’incompétence.■