Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE
COMPRESSION SOUTERRAINE
Longtemps j’ai cru que le métro, en dehors des heures de pointe, permettait de se déplacer agréablement, sans subir la compression imposée aux malheureux qui s’entassent à 8 heures ou à 18 heures pour aller au travail ou rentrer chez eux. Que nenni. Voici des mois, et même des années, qu’apparaît une situation nouvelle : les rames, désormais, sont toujours bondées. Prendre la ligne 8, 9 ou 13 en pleine journée ne garantit en rien de trouver un petit bout de place assise pour lire tranquillement Marianne. Chaque fois que je m’y engage, c’est empli à ras bord, on est debout et serré dans toutes les voitures, avec ce mélange d’odeurs de sueur, de parfums, et de sourires gênés qui rapproche les humains dans l’adversité. Désireux de comprendre cette situation, j’observe les panneaux lumineux et constate que les rames sont séparées par des temps de plus en plus longs. Un métro qui passait toutes les quatre minutes voici quelques années apparaît toutes les huit minutes, au mieux – et c’est pis encore sur le réseau d’autobus où il n’est plus rare d’attendre vingt minutes entre deux véhicules. À quoi s’ajoute, en cette fin 2023, la fermeture totale de plusieurs lignes pour travaux, contraignant les passagers à se reporter sur des itinéraires de secours.
Pendant ce temps-là, nos responsables politiques font de la communication sans trop se préoccuper du réel. Parmi les arguments avancés pour la candidature française aux jeux Olympiques, nous avons entendu proclamer que Paris et sa région disposent d’un exceptionnel réseau de transport en commun – ce qui reste heureusement vrai, pour une part. Mais dans ce domaine, comme dans celui de l’éducation ou de la santé, on ne saurait dire que le niveau monte. Adolescent à la fin des années 1970, je découvrais émerveillé la possibilité de me déplacer dans les trains flambant neufs et confortables du RER, capables de me conduire en quelques minutes à Nanterre ou au parc de Sceaux. Je me rappelle aussi le temps de la lutte des classes dans le métro, quand on pouvait, pour un franc de plus, grimper dans une spacieuse voiture de première – possibilité supprimée le 30 juillet 1991 au nom d’un principe d’égalité pas toujours bénéfique pour les vieux ou les personnes malades. À la fin des Trente Glorieuses, ce pays avait atteint un degré élevé de prospérité… avant de voir ses réseaux se détériorer faute d’entretien et d’investissements, jusqu’à se retrouver pour un rien en panne ou au ralenti. Pendant plusieurs mois, je n’ai pu prendre le RER C, près de chez moi, parce que la station Saint-Michel était continuellement fermée pour des chantiers s’ajoutant aux chantiers. L’autre jour, comme j’espérais enfin profiter du Transilien pour me rendre à la Maison de la radio, j’ai découvert sur le quai que la rame était supprimée, puis aussi la suivante. Regardant l’appli de mon téléphone, je suis tombé sur cette explication mentionnée en toutes lettres, tel un aveu navré : « Motif: manque de personnel » .
Il paraît que la RATP et la SNCF peinent à recruter des agents compétents, tout comme les hôpitaux ou les écoles. Et voilà qui ne manque pas de surprendre, dans un pays où le taux de chômage reste élevé, où l’immigration est importante, où l’enseignement et la formation constituent la première dépense de l’État. Rien n’y fait, le système ne sait plus comment harmoniser l’organisation des services et le recrutement des agents, qui jugent insuffisants les salaires et les conditions de travail – malgré une énorme manne d’argent public. La situation continue donc à se dégrader sous terre (à l’exception des lignes entièrement automatisées), tandis que nos édiles prétendent encourager les transports en commun. La Mairie de Paris pousse vers les escaliers du métro les Parisiens et banlieusards interdits d’automobile. Peu importe qu’ils y galèrent, puisque c’est pour sauver la planète… à défaut des usagers, car d’autres voix dénoncent le réseau souterrain pour l’intense pollution aux particules fines qui menacerait nos santés depuis des décennies. Bref, qu’il pleuve ou qu’il vente, qu’on soit vieux ou jeune, bien portant ou malade, il ne reste plus qu’à enfourcher des vélos et à pédaler sur les nouvelles autoroutes cyclables, bien plus chères à nos autorités postmodernes que ce bon vieux métro si pratique et si parisien.■