« Macron, du car au train » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1219 du 24 au 30 juillet 2020

Carte blanche

« Macron, du car au train »

 Par Benoît Duteurtre

Quel retournement! Voici quatre ans, la SNCF annonçait la suppression totale des trains de nuit, sauf pour deux destinations (l’une vers Briançon, l’autre vers les Pyrénées). Dans le même temps, les petites lignes ont continué à fermer, et les installations de fret à disparaître. Malgré l’émoi des usagers, les pouvoirs publics ont entériné cette évolution commencée depuis plusieurs décennies et contribuant toujours à la diminution du réseau. Pis encore, en transformant la SNCF en « société anonyme », le gouvernement a rendu plus improbable la mise en œuvre d’une politique des transports. Mais voici soudain qu’Emmanuel Macron – inspiré par la crise sanitaire, les élections municipales, l’urgence écologiste et le nouveau cap du quinquennat – annonce des objectifs inverses: développer les petites lignes, relancer le fret et les trains de nuit. Tout ce que nous prônions, nous autres amoureux des trains, figure au programme. Et nous voici perplexes devant un retournement à 180° dont on se demande s’il illustre une courageuse prise de conscience ou le « n’importe quoi » d’une communication prête à tout pour paraître dans l’air du temps.

Voici treize ans déjà, le Grenelle de l’environnement appelait solennellement à développer le transport ferroviaire. On sait ce qu’il en fut: rien, et même tout le contraire! Non parce que les proclamations manquaient de sincérité; mais en raison d’une incompatibilité profonde entre ces vœux pieux et la réalité du système économique, plus encore sous la pression européenne: dérégulation, « concurrence libre et non faussée ». Soumise à cette pression, la SNCF a entamé, bien avant 2018, une privatisation de fait consistant à transformer les usagers en clients, à tout miser sur le TGV, à se diviser en « marques » indépendantes (TER, Ouigo, Inoui, Thalys…), à délaisser le fret et ses infrastructures. Ces choix ont rendu plus compliqué l’accès au train, où il est désormais impossible de voyager sans réserver dans une braderie aux prix aléatoires. Durant ces mêmes années, le service public s’est débarrassé des petites lignes abandonnées aux régions et tributaires de l’intérêt des élus locaux. Nous en subissons la conséquence concrète quand le contrôleur, désolé, nous explique que le TGV n’attendra pas le TER… puisqu’ils ne relèvent plus de la même « entreprise ».

Ainsi ont disparu les principaux avantages du transport ferroviaire: facile d’accès, irriguant le territoire et offrant à chacun le sacro-saint tarif unique du kilomètre. Sans alarmer davantage les autorités, les trains intercités qui relient de nombreuses villes se sont vus honteusement abandonnés: dégradation des rames Corail, crasseuses et taguées (néanmoins plus spacieuses que les trains Bombardier qui les remplacent, avec leurs parois vibrantes et leurs espaces conçus pour les vélos, mais trop exigus pour les passagers ordinaires). Sur Paris-Le Havre, la ligne de mon enfance, le trajet demande quinze à trente minutes de plus que dans les années 1970; et plusieurs liaisons directes ont été supprimées pour imposer un changement à Rouen. Est-ce ainsi qu’on encourage les gens à prendre le train?

Macron n° 1 fut l’emblématique président de cette politique. Notamment en prônant le développement fort peu écologique des liaisons par autocar: un véritable coup de grâce donné aux petites lignes et aux trains de nuit, jugés trop peu rentables. Mais aussi en procédant à cette réforme de la SNCF qui diminue la responsabilité de l’État, seul susceptible de piloter une grande politique du rail. En somme, Macron n° 2 fixe de louables objectifs à l’inverse des actes de Macron n° 1. Il reviendra à Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF, et aux régions de les mettre en oeuvre, en fonction des moyens qu’on leur accordera (ou pas) et de la priorité qu’elles en feront (ou pas). On peut rêver, c’est bon pour le moral. J’attends, quant à moi, de voir ce qui ne s’est jamais produit: la réouverture d’une petite ligne, d’un train de nuit et d’une ligne de fret. Ensuite, seulement, je déboucherai le champagne.


Carte blanche précédente : « Madame 18 % » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1217 du 10 au 16 Juillet 2020

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