« Ma vie extraordinaire » de Benoît Duteurtre – Confession d’un moderne par Olivier Maulin dans Valeurs Actuelles n°4399 du 18 au 24 mars 2021

CULTURE Benoît Duteurtre revient sur sa vie riche d’enthousiasmes dans un roman touchant.

« Ma vie extraordinaire », de Benoît Duteurtre, Gallimard, 324 pages, 20 €

Confessions d’un moderne

Les souvenirs d’un enfant et les enchantements artistiques d’un adulte sont au menu du nouveau roman autobiographique de Benoît Duteurtre.
Par Olivier Maulin

 

À mesure qu’il vieillit, comme nous tous, hélas, Benoît Duteurtre teinte sa légendaire légèreté d’une ombre d’épouvante qu’il craint et nomme à la manière d’un enfant en plein cauchemar: la mort. Âgé de 60 ans, il a certes encore le temps; pourtant, il semble déjà classer ses papiers et ses souvenirs comme s’il voulait que tout fût en ordre le jour où elle se présentera. Après l’Été 76 et Livre pour adultes, Ma vie extraordinaire continue ainsi d’explorer la veine autobiographique. Ce sont les souvenirs touchants des vacances d’enfant passées dans les Vosges, chez son grand-oncle et sa grand-tante, anciens résistants et gaullistes invétérés, ceux de sa famille du Havre marquée par le président de la République René Coty, dont il est l’arrière-petit-fils par sa mère, puis une évocation des « 14600 jours” qui ont constitué sa vie d’adulte, de 20 à 60 ans. Comme toujours chez l’écrivain, une petite fiction d’anticipation en trois parties, sombre et drôle à la fois, vient agrémenter un récit « composé” à la manière d’une symphonie.

Duteurtre a passé une grande partie de sa vie à défendre les musiciens de la “modernité française” du début du XXe siècle et à exhumer, notamment dans son émission hebdomadaire sur France Musique, Étonnez-moi Benoît, mais aussi dans des magazines spécialisés, des musiciens oubliés, jusqu’à devenir l’un des plus grands spécialistes de l’opérette et de la “musique légère”. Il évoque avec délicatesse les monstres sacrés qu’il a connus (Jean Hubeau, Jean-Michel Damase, Marcel Landowski, Jo Privat, Suzy Delair…) dans des pages qui rappellent parfois l’ambiance étrange de Boulevard du crépuscule de Billy Wilder.

Michel Houellebecq au Muséum d’histoire naturelle
Il nous parle également de la passion qu’il a nourrie pour New York où, tandis que l’avant-garde française dominée par Boulez avait décrété que «la modernité parisienne, aux rythmes insolents et aux couleurs vives », était désormais réactionnaire, il retrouvait, chez un Steve Reich, la poursuite de l’aventure moderne outre-Atlantique, inspirée de Debussy et Satie. Du New York branché qu’il arpente avec son ami l’écrivain Bruce Benderson, ou avec son autre ami Michel Houellebec 8  a qu’il traîne au Muséum d’histoire naturelle, aux Vosges où il passe la moitié de l’année avec son compagnon à écrire et à écouter les ruisseaux couler, Duteurtre pratique une forme de grand écart culturel!

L’écrivain nous parle également de lui avec pudeur, de son homosexualité débarrassée de toute idéologie, de sa misanthropie secrète que sa belle éducation ne laissait pas soupçonner (« Bon débarras!», grogne-t-il après le départ d’un ami qu’il a invité à dîner…), de ses aspirations urbaines et de ses sentiments bucoliques, des embarras de l’existence comme ces chaussettes dépareillées qui s’accumulent, de la délectation, enfin, qu’il a eue pour la beauté et l’artifice d’un monde dont il pressent qu’il est en train de disparaître. •

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