« Causes indéfendables » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1213 du 12 au 18 juin 2020

Carte blanche

« CAUSES INDÉFENDABLES »

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Un simple déplacement à Paris pollue deux fois plus aujourd’hui qu’hier, à rebours du pseudo-combat parisien pour la planète qui prendra bientôt les dimensions d’un chantier olympique. Et réfléchissons-y, à moins de vouloir poursuivre, dans le monde d’après, le calvaire entamé dans le monde d’avant.


Je l’ai observé à maintes reprises: les élans collectifs et les revendications illustrent presque toujours la vertu du moment. Elle inspire les défilés et les pétitions. Quant aux causes inverses, frappées de honte, elles peinent à rassembler les protestataires.
Les antifumeurs se sont mobilisés sans relâche pour faire interdire partout le tabac. En face d’eux les fumeurs, comme pour leur donner raison, ont à peine élevé la voix pour protéger les rares espaces qui leur étaient concédés. Les féministes dénoncent tout ce qui peut subsister d’inégalité et de comportements inappropriés. Mais jamais on n’entend les hommes se rassembler pour dénoncer l’humiliation qui leur est infligée, à force d’être présentés comme d’abjects prédateurs prospérant sur leurs privilèges. C’est pareil avec les automobilistes. D’un côté le discours antivoitures se proclame, s’affiche, se permet tout au nom du développement durable (on a même vu Extinction Rebellion bloquer le centre de Paris avec la bénédiction de la Mairie). Inversement, les centaines de milliers de conducteurs d’Île-de-France qui ont besoin de se déplacer mais se voient culpabilisés en tant que pollueurs semblent incapables de s’organiser, de revendiquer, de bloquer l’Hôtel de Ville en vue d’obtenir une marque de respect. Rachida Dati, principale rivale d’Anne Hidalgo, ne s’est guère risquée sur ce dossier qui, peut-être, lui aurait permis d’inverser la tendance. Il est interdit de s’opposer à l’air du temps qui voit dans le vélo la solution à tout. Il est exclu de défendre une autre vision de la circulation urbaine, quand bien même la politique municipale s’apparente à l’organisation du chaos.
Le confinement nous l’avait presque fait oublier. Il aura suffi de quelques jours pour que le programme antivoitures d’Anne Hidalgo amplifie à nouveau les embouteillages, le bruit et la pollution dans la capitale. De nouvelles mesures brutales, prises conformément à ses méthodes – comme la fermeture intempestive de la rue de Rivoli, l’axe principal qui traverse la ville d’est en ouest -, ont eu les conséquences qu’on pouvait redouter: les malheureux conducteurs cherchant des échappatoires et congestionnant d’autres rues, voire des quartiers entiers. Alors que seule une partie de ceux qui travaillent à Paris ont repris leurs habitudes, on entrevoit l’enfer qui va suivre dès que les activités recouvreront leur rythme normal. Ainsi va cette administration plus préoccupée de communication que de santé et pressée de démontrer que les cyclistes sont rois – quitte à terroriser le piéton; car j’avais moins peur de traverser la rue de Rivoli quand les autos roulaient et respectaient les feux. Désormais, on se jette en tremblant parmi les deux roues qui surgissent de tous côtés, certains vous délivrant une bordée d’injures si vous ralentissez leur circulation douce. Avec sa morgue habituelle, la maire candidate annonce déjà que ces installations seront pérennisées.

Quant à l’écologie véritable (celle que les rues calmes et les chants d’oiseaux semblaient nous suggérer en cet étrange printemps confiné), elle n’a pas progressé d’un pouce. Au contraire, la passion verte de la Mairie reste fidèle à ses mauvaises recettes: diviser les larges avenues en couloirs livrés aux hordes de trottinettes, relancer partout les travaux, déplacer la circulation pour donner l’illusion qu’on la diminue. Un Parisien qui a besoin de se déplacer en voiture (tout le monde n’a pas envie de pédaler, ni de prendre le métro sous contrôle sanitaire) ne peut même plus aller de la Bastille au Châtelet. Pour ce bref trajet au cœur de la ville, il lui faut accomplir un énorme détour par la rive gauche ou par les grands boulevards et doubler son temps de transport comme son empreinte carbone. Un simple déplacement à Paris pollue deux fois plus aujourd’hui qu’hier, à rebours du pseudo-combat parisien pour la planète qui prendra bientôt les dimensions d’un chantier olympique. Et réfléchissons-y, à moins de vouloir poursuivre, dans le monde d’après, le calvaire entamé dans le monde d’avant.

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