« Quand Duteurtre remonte le temps » Par Bernard Quiriny dans L’Opinion n°2353 du 21 septembre 2022

In folio Bernard Quiriny

Quand Duteurtre remonte le temps

IL Y A DES LIVRES qui ont la force de l’évidence. Un dictionnaire amoureux de la Belle Époque et des Années folles, quelle bonne idée! Et y avait-il un écrivain mieux placé que Benoît Duteurtre pour replonger dans ces années 18801920, qui nous ont légué tant d’œuvres d’art, de chansons, d’architectures élégantes, sans compter l’art de vivre?

Duteurtre en effet connaît tout cela par cœur, lui qui passe sa vie à collectionner les opérettes à rire aux blagues d’Alphonse Allais, à rêver avec la musique de Debussy, et à soupirer en général après les sons, les figures et les couleurs de cette époque qu’il n’a pas connue, avec la mélancolie légère et souriante qui parfume tous ses livres…

Il se trouve que j’ai la même inclination que lui pour les villas normandes, les humoristes du Chat noir, les façades Art nouveau, les paquebots de légende, les revues littéraires, les présidents oubliés, les publicités anciennes, les vieux trains héroïques, les conventions bourgeoises, les moustaches recourbées, et les villes d’eaux. C’est dire si je me suis senti chez moi dans ce gros volume pétillant d’érudition, d’enthousiasme et de nostalgie, où j’ai eu de plus le plaisir de retrouver plusieurs de mes dadas, je veux dire mes écrivains favoris, notamment Henri de Régnier, le poète à monocle, compassé, distingué, plein de spleen et d’élégance, et Jules Renard, l’observateur au couteau, ironiste incisif, poseur de bombes à bas bruit, dont le Journal est une mine.

Découverte. On ouvre ce dictionnaire pour y trouver les entrées qu’on attend, notamment sur la musique et les compositeurs, inévitables sous la plume du mélomane qu’est Duteurtre, mais aussi d’autres qu’on n’attend pas, et qui donnent le plaisir de la découverte: personnages (Dranem, icône des cafés-concerts, célèbre pour ses chansons délibérément sottes), produits (la Quintonine et les vins Mariani!), lieux (la gare de Limoges). Aucune vedette ne manque: Stravinsky, Debussy, Picasso, Proust, Gide, Clemenceau, Chanel, Guitry défilent. Mais Duteurtre a le chic pour tourner aussi les projecteurs vers des seconds couteaux.

Écrire un livre d’histoire permet de réaménager l’histoire à sa guise, en se composant des panthéons personnels. Dans le sien figurent Charles Cros, Germaine Taillefer, Franz Lehár et Fernand Ochsé, sans oublier Charles Trenet et Mistinguett, car il ne croit pas à la hiérarchie dans les arts, et revendique le droit d’être léger. Il fait d’ailleurs jouer ce droit en omettant d’insister sur les tares de l’époque: les inégalités sociales, la soumission des femmes, l’antisémitisme, le colonialisme, etc.

Il laisse à d’autres le soin d’instruire les procès, et préfère pour sa part se pencher sur la Belle Époque et les Années folles en promeneur et en esthète mélancolique, qui n’a besoin pour s’évader en rêve que d’apercevoir une colonne Morris, d’entendre une ritournelle d’avant-guerre, ou de réciter un poème fané.

Dictionnaire amoureux de la Belle Époque et des Années folles, de Benoit Duteutre (Plon, 646p., 25 euros).

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