Carte blanche PEPY, DÉFENSEUR OU FOSSOYEUR ?
PAR BENOÎT DUTEURTRE
Guillaume Pepy, qui va quitter la présidence de la SNCF, se présentait volontiers comme un rempart du « service public» ferroviaire; un de ceux qui s’efforçaient, contre vents et marées, de protéger le train des tentations néolibérales conduisant à la privatisation pure et simple. Tout juste s’il ne se désignait pas comme l’allié des syndicats dans la défense du réseau ferroviaire français… On peut toutefois se demander, en examinant son mandat de dix ans à la tête de « l’entreprise » (comme il dit), si cet homme n’a pas été plutôt l’incarnation d’un certain mensonge d’Etat en matière de service public d’un côté, un discours et un cadre qui semblent préserver les chemins de fer dans leur vocation de service universel; de l’autre, une action et une succession de mesures qui font exactement le contraire, puisqu’elles consistent à privatiser le service de l’intérieur, en y appliquant une pure logique financière-comme on le voit aussi à la Poste ou dans les hôpitaux.
Interrogé par un magazine sur le cadeau qu’il aimait faire, Guillaume Pepy avait répondu malicieusement « un billet d’avion. Le mot résume bien la réalité de sa gestion consistant à imiter en tous points les méthodes du transport aérien au détriment du côté pratique du transport ferroviaire avec ses trains ouverts et réguliers, d’accès simple et égalitaire (le fameux prix unique du kilomètre, aujourd’hui enterré). On a vu ainsi s’imposer une tarification variable visant à rentabiliser chaque rame au maximum, mais aussi les réservations obligatoires, ou encore ces nouvelles gares-aéroports hors des villes (pas même reliées au réseau secondaire), sans parler des trains low cost aux bagages supplémentaires payants. A l’intérieur des TGV, il est question désormais d’embarquement » ou de présentation de «l’équipage – à quoi s’ajoute désormais la quasi-impossibilité de voyager sans présenter son identité. Tout cela, c’est du Pepy.
Il n’a pas manqué, non plus, de souligner les avantages du train en matière écologique. Sauf que la SNCF, ces dernières années, a joué tout sauf la carte verte de la proximité: en laissant se poursuivre le déclin des petites lignes (abandonnées au bon vouloir des régions et parfois remplacées par les autocars chers au président Macron), en préférant les camions au fret ferroviaire, en supprimant les trains de nuit, et en misant uniquement sur le rentable TGV au détriment des trains du quotidien. Les rames intercités qui relient encore de nombreuses villes sont dans un état consternant, et on pleure de voir les vieux mais confortables Corail remplacés par les minables rames en plastoc de la firme Bombardier.
Partout à l’oeuvre, la logique des « marques a transformé les gares en supermarchés, et divisé les trains en entreprises étanches qui se soucient comme d’une guigne d’assurer les correspondances.
Voici quelques années, comme j’avais écrit la Nostalgie des buffets de gare, un petit essai sur le sujet, Guillaume Pepy m’avait envoyé une lettre aimable, dans laquelle il disait partager mes préoccupations, tout en m’assurant que les nouvelles générations regretteraient l’époque actuelle du rail – comme s’il ne s’agissait que de l’éternel mouvement de la nostalgie. Je m’étais alors demandé si ces mots étaient plutôt guidés par la naïveté d’un homme persuadé d’avoir défendu ce qu’il pouvait malgré la pression de l’époque; ou par le cynisme d’un killer ayant agi sciemment mais faisant semblant de ne pas s’en apercevoir…
La question reste ouverte. Mais, pour les usagers, ces années Pepy auront marqué la fin du grand service public que notre pays, en pleine mystique du développement durable, devrait précisément raviver. La nomination d’un nouveau PDG, issu des chemins de fer et désireux de « remettre les trains à l’heure est peut-être de bon augure. Il serait temps. Car les plus ardents défenseurs du service public finissent eux-mêmes par se demander, après ces temps de dégradation accélérée, si la concurrence n’apportera pas, au bout du compte, une qualité de transport de plus en plus déficiente à la SNCF – comme si, le sale boulot étant accompli, le moment était venu d’entrer dans l’ère radieuse des chemins de fer néolibéraux !
Voir aussi :
À lire : La nostalgie des buffets de gare (Payot, 2015)