« Sauvez le marché aux fleurs » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1331 du 15 au 21 septembre 2022

Carte blanche

PAR BENOÎT DUTEURTRE

SAUVEZ LE MARCHÉ AUX FLEURS!

Le marché aux fleurs est en train de mourir. C’est un des plus charmants recoins de l’île de la Cité, en plein cœur de Paris. Il partage ce privilège avec le square Jean-XXIII au chevet de Notre-Dame et la place Dauphine, à l’autre bout de l’île, où les flâneurs peuvent rêver sur les bancs publics. La place Dauphine n’a guère changé (sauf les prix de l’immobilier, loin du temps où l’on y trouvait un des hôtels les moins chers de Paris), et le square Jean-XXIII, fermé depuis l’incendie de Notre-Dame, devrait retrouver son style après la rénovation des abords de la cathédrale. Mais le marché aux fleurs, rebaptisé en 2014 « Elizabeth II » (la reine l’adorait), se transforme en terrain vague abandonné par la municipalité, qui, depuis des années, néglige d’y faire ce qu’elle devrait : entretenir la poésie du lieu, avec ses stands de fleurs et de plantes qu’on peut venir chercher à pied ou en voiture, grâce aux discrètes places de stationnement aménagées sous les paulownias.

Cet ensemble de pavillons est caractéristique du mobilier urbain du XIXe siècle, avec ses armatures de fer, ses peintures vertes, ses terrasses couvertes, ses fontaines Wallace, son kiosque à journaux, son entrée de métro. Et c’est un bonheur de débarquer ici par la ligne 4, dans un foisonnement de verdure et une fraîcheur mieux préservée que celle de toutes les climatisations. On y découvre des alignements de fleurs, de plantes en pot, d’arbustes, mais aussi d’orchidées et d’espèces plus rares dont les étalages ravissent les sens… Voilà qui ne semble guère intéresser l’Hôtel de Ville, et il s’est dit qu’Anne Hidalgo jugeait le lieu moribond en regard de l’esprit festif qu’elle entend cultiver dans la capitale. Un projet qu’elle parraina, avec François Hollande, consistait à refaçonner entièrement ce marché, sous la houlette du catastrophique Dominique Perrault (auquel on doit les tours hideuses de la BNF), en l’enveloppant sous une cloche de verre pour y développer des animations, des commerces et du fooding… Les contretemps liés à l’incendie de Notre-Dame ont eu raison de ces élucubrations, et la Ville parle désormais de « rénovation ». On a toutefois l’impression, lorsqu’on s’y promène, que les autorités ont choisi de le laisser dépérir, le marché aux fleurs, tout en lançant un concours d’architecture qui laisse présager un vaste chantier. Les pavillons ferment sans être reloués, d’autres sont démontés; les tags et la friche prospèrent tout autour; le marché aux oiseaux, qui enchantait les dimanches, s’est vu interdit sous des prétextes animalistes; des barrières encadrent des travaux de terrassement abandonnés. Les amoureux du lieu peuvent donc s’inquiéter du jour où, pour entamer ladite « rénovation », on commencera par détruire ce qui reste, avant que les tronçonneuses n’attaquent les grands paulownias, gênants pour les travaux – selon la manie désormais répandue de couper des arbres au prétexte d’en replanter.

Quant à moi, je m’interroge sur ce traitement caractéristique de notre époque. Une municipalité qui prétend réinventer la vie selon des objectifs vertueux (combattre la voiture, planter des potagers urbains…) et qui multiplie les grands projets dédaigne le simple entretien des lieux publics, et notamment de ces espaces verts qui jalonnent la capitale. Les gardiens de square ont disparu de leurs guérites, facilitant la dégradation des lieux et l’incivilité. Ce marché aux fleurs, qui aurait pu vivre encore bien longtemps comme un ravissant emblème de Paris, se voit promis à la décomposition avant d’être refaçonné – pour un coût bien plus élevé que celui des quelques travaux nécessaires au fil du temps. C’est un crève-cœur que de longer ces pavillons à moitié abandonnés, de traverser ces passages envahis de trottinettes, et de voir ainsi mourir un morceau de la vie parisienne où se concentre tout le savoir-faire des anciens aménagements urbains et végétaux. Au moment où la Ville et son premier adjoint prétendent se montrer davantage à l’écoute des citoyens et des critiques de #saccageparis, on rêverait qu’ils soient capables de faire marche arrière pour assurer, avec modestie, l’entretien de ce merveilleux petit théâtre urbain. Il mérite aujourd’hui qu’on se mobilise. I

86/Marianne /15 au 21 septembre 2022

Carte blanche précédente : « Été 2050 » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1329 du 1er au 7 septembre 2022

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