« Le confinement selon Benoît Duteurtre » par Christophe Preteux dans Paris-Normandie du 2 mai 2020.

LA CRISE DU CORONAVIRUS

Signature, tome VII :

Le confinement selon l’auteur Benoît Duteurtre : « L’idée que nul ne doit vivre trop légèrement »

Le principe. Auteurs, autrices, romanciers, romancières… Ils vivent et travaillent en Normandie. L’exercice solitaire de l’écriture est au cœur de leur vie qui s’écoule désormais au rythme lent du confinement. Pour notre septième rendez-vous : Benoît Duteurtre.

 

« Vendredi, j’aurai 60 ans. J’aurais pu rêver mieux comme anniversaire ». C’était le 20 mars dernier et, en cette première semaine de confinement, Benoît Duteurtre, éternel jeune homme quand bien même le temps passe, livrait au Figaro une première chronique de sa drôle de vie derrière les persiennes de son appartement parisien. Comme Joséphine Baker — inoubliable interprète de cette chanson du trio Koger-Varna-Scotto — l’écrivain, natif de Sainte-Adresse, a deux amours: son pays et Paris.

Pamphlet grinçant à l’égard de la politique menée dans la capitale

 

Benoît Duteurtre a pour le premier un profond attachement. Cette terre, cette craie de Caux, les hautes falaises d’Étretat, les larges avenues du Havre sont au cœur de son oeuvre romanesque. Le jeune homme timide, qui avait osé faire parvenir ses premiers écrits au grand Armand Salacrou, chérit aussi Paris où il réside depuis plus de trente ans, non loin de Notre-Dame. Dans son dernier essai, Les dents de la maire, il livre un pamphlet grinçant à l’égard de la politique menée par Anne Hidalgo dans la capitale. Benoît Duteurtre s’y entend pour parler gravement de choses légères. À moins que ce ne soit l’inverse.

Christophe Préteux

« Les dents de la maire » Fayard : 18 €

Benoît Duteurtre : « Je me suis efforcé de mettre à profit ces jours parmi les objets qui me permettent de voyager à distance, notamment en Normandie. »(Photo David Ignaszewski)

 

« La Normandie à Paris »

 

Pour les lecteurs et lectrices de « Paris-Normandie », Benoît Duteurtre nous livre un texte exclusif.

« Le 19 mars, j’ai décidé de rester à Paris. Non par fidélité au programme d’un de mes essais intitulé Pourquoi je préfère rester chez moi ; mais parce que le moment m’a semblé favorable pour trier mille archives, livres, disques, documents, souvenirs accumulés depuis des années et parmi lesquels, enfin, j’ai trouvé le temps de mettre un peu d’ordre. Je n’ai d’ailleurs aucun regret, quand je vois le sort réservé à ceux qui ont opté pour le grand air, notamment pour la montagne (où je vais régulièrement écrire) et pour la mer (où j’aime séjourner à Étretat). Car j’ai trouvé cruel qu’on leur interdise, depuis le début du confinement, de profiter de la nature : qu’il s’agisse de marcher sur le rivage ou de grimper sur les sommets.

Je comprends qu’il faille éviter les rassemblements; mais ces vastes espaces permettent justement de respirer loin les uns des autres et j’ai du mal à saisir le sens de cette privation. Imaginant mes amis réfugiés sur la côte d’Albâtre et qui ne peuvent même pas s’asseoir sur les galets, je me demande si tout cela n’illustre pas une logique de « punition », qui va au-delà des impératifs du confinement : l’idée qu’il faut souffrir et que nul ne doit vivre trop légèrement ces heures difficiles !

« Je me demande si tout cela n’illustre pas une logique de « punition » qui va au-delà des impératifs du confinement »

Quant à moi, malgré le climat lourd et anxiogène, je me suis efforcé de mettre à profit ces jours parmi les objets qui me permettent de voyager à distance, notamment en Normandie : aux murs, quelques tableaux des frères Saint-Delis qui ont peint si joliment la plage d’Étretat et le port du Havre avant-guerre ; une reproduction du Jardin à Sainte-Adresse de Claude Monet, le tableau que j’aime le plus au monde (et qui se trouve à New York au Metropolitan); ou encore cette belle gravure du XVIII siècle qui représente ma ville natale et ses quartiers faciles à reconnaître, notamment le village de Saint-Vincent et ses environs où vivent toujours mon père et ma sœur. Un tableau manque à l’appel, car je l’ai prêté à la bibliothèque Armand Salacrou [NDLR : située au Havre] pour une exposition inaugurée le 12 mars, juste avant la catastrophe, et dont j’espère qu’elle rouvrira bientôt ! Il représente l’ancien sémaphore peint par Albert René, un intéressant personnage, ami d’Alphonse Allais. Écrivain et caricaturiste, il animait au Havre, au début du XX siècle, les « Folies Bergères » locales, mais aussi la revue satirique La Cloche (en référence à la cloche des dockers).

On voyage bien grâce à la peinture, à la musique (je recommande La Mer de Debussy, inspirée par ses séjours à Pourville et Houlgate), mais plus encore grâce aux livres. C’est pourquoi j’ai ressorti les nouvelles de Maupassant qui, chaque jour, me conduisent dans le pays de Caux, transformé par son génie en théâtre de l’humanité. On y retrouve les Parisiens séjournant à Étretat (il n’aurait pas manqué d’écrire une nouvelle sur les confinés qui n’ont pas le droit d’aller voir la mer et arpentent lamentablement les rues du bourg, en contrebas); mais surtout les Cauchois riches ou pauvres, les paysages du plateau venté, les vallons et les cours de ferme dans toutes leurs variantes.

Parmi les Contes de la bécasse que je relisais ces derniers jours, j’avais oublié cette histoire comique et cruelle de deux femmes, près d’Yvetot, qui adoptent un petit chien ridicule, Pierrot (c’est le nom de la nouvelle), et finissent par l’abandonner au fond d’un puits, avant d’éprouver des remords et de revenir chaque jour lui jeter de la nourriture. Il y a toujours chez Maupassant quelque chose de sublime dans la pire noirceur. Disciple de Schopenhauer, il ne croit en rien mais il sait peindre, mieux que personne, la poésie involontaire de l’humanité tout comme la splendeur de la nature. J’étais avec lui, ce matin, quand j’ai entendu des goélands depuis mon appartement. On les voit parfois remonter le fleuve et tournoyer en criant au-dessus de la Seine, comme ils font l’été au-dessus des falaises. Si bien que j’avais soudain l’impression, en plein Paris, que la Normandie se trouvait à portée de main, des yeux et des oreilles ! »

 

 

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Une réflexion sur “« Le confinement selon Benoît Duteurtre » par Christophe Preteux dans Paris-Normandie du 2 mai 2020.”

  1. Pour les riverains de la côte d’Opale (ou personne ne se baigne avant Juin) on serait même tenté d’inverser la formule en parlant de logique du confinement qui dépasse les impératifs de « punition » pour les lesquels le virus sert de prétexte visiblement. L’occasion était trop belle pour les autorités locales de sermonner ses administrés jugés trop laxistes habituellement sur une somme de petits détails accumulés expliquant ce retour du refoulé aujourd’hui. Même chose pour les couvre feu dans certaines villes.

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