« Tourisme à l’Hôtel-Dieu » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1193 du 24 au 30 janvier 2020.

Carte blanche « Tourisme à l’Hôtel-Dieu »

Par Benoît Duteurtre

Il se passe des choses étranges dans mon quartier. J’habite en effet près de l’Hôtel-Dieu, ce très ancien hôpital du centre de Paris géré par l’Assistance publique qui veille sur nos santés… mais qui fait aussi des affaires et de l’immobilier. Et comme de son côté la Ville de Paris, tout en veillant sur la protection de la planète, fait elle-même du tourisme et de l’immobilier, la Mairie et l’AP-HP ont conjugué leurs efforts pour chambouler cet établissement qui abritait, voici peu, quelques services médicaux de haut vol. Résultat: un projet coûteux, tordu, polluant, à l’exact opposé des prétentions « vertes » de la Mairie, comme de l’attachement de l’Etat à ses hôpitaux, rappelé par le président lors de ses vœux pour 2020.

L’AP-HP vient en effet de céder à un promoteur privé un tiers de la surface de l’hôpital – la mieux située, bien sûr, avec son jardin intérieur, juste devant le parvis de Notre-Dame. Désormais coutumière de telles opérations dans les quartiers chers, l’Assistance publique avait d’abord envisagé d’implanter à l’Hôtel-Dieu ses services administratifs; option abandonnée face à la levée de boucliers du personnel et d’autres défenseurs du seul service d’urgences en plein cour de Paris. Du coup, l’AP-HP, sous la direction de Martin Hirsch, a opté pour cette cession d’une partie du bâtiment en échange d’un loyer… tout en prenant la décision ubuesque de reconstruire les services hospitaliers devenus insuffisants dans les cours du même Hôtel-Dieu en y élevant des immeubles de quatre étages. Ces cours sont pourtant constitutives de l’architecture du monument et forment l’un des rares espaces dégagés du quartier. En résumé: on cède une partie de l’hôpital pour la reconstruire juste à côté, tout en bouchant le bâtiment et ses perspectives.

La Ville, selon sa rhétorique de développement durable, aurait pu déplorer une telle décision, voire s’y opposer. On aurait pu imaginer que l’Hôtel-Dieu et son service d’urgences saturé se déploient dans l’ensemble du bâtiment pour en faire un emblème du service public. La Mairie, par la voix d’Anne Hidalgo (présidente du conseil de surveillance de l’AP-HP), a néanmoins approuvé le projet initial, qui vise à installer dans les murs hospitaliers un «incubateur de start-up », mais aussi un restaurant gastronomique et des espaces commerciaux ouverts sur le site touristique de Notre-Dame, ou encore des logements d’étudiants – pour lesquels on pouvait trouver d’autres emplacements dans ce quartier vidé d’une partie des services de police et de justice. L’opération semblait prête à démarrer quand la Commission du vieux Paris, présidée par un socialiste, a dénoncé le 21 novembre une « opération de vandalisme architectural » et « un projet scandaleux, affranchi de toute considération patrimoniale, aux abords immédiats de la cathédrale Notre-Dame et des berges de la Seine ».

Anne Hidalgo, on le sait, ignore facilement les décisions qui ne lui conviennent pas. Mais, depuis quelques mois, campagne électorale oblige, elle cherche à se montrer plus conciliante. Elle a donc écrit à Martin Hirsch pour lui demander de modifier son projet, et celui-ci a promis de revoir l’architecture des nouvelles constructions… sans remettre en cause la cession des bâtiments au privé, ni la densification des cours de l’hôpital. C’est ainsi qu’on sacrifie à la fois des espaces de santé publique, la prétendue volonté de rendre Paris plus vert (en rendant aux cours de l’Hôtel-Dieu leur vocation de jardin), et la vie des habitants qui vont subir cet énorme chantier quelques mois après l’incendie de Notre-Dame et la destruction du ravissant square Jean-XXIII (transformé en camp retranché entouré de rouleaux de barbelés pour accueillir le baraquement du chantier de la cathédrale).

On ne saurait toutefois comprendre ces décisions qu’en se rappelant les projets, plus vastes, que la Mairie tient sous le coude pour la prochaine mandature: comme ce plan de refonte de l’île de la Cité présenté en 2016 par François Hollande et Anne Hidalgo, qui prévoyait notamment le réaménagement du parvis de Notre-Dame pour accueillir les touristes, ou encore le saccage du marché aux fleurs, englobé sous une cloche de verre pour y organiser des animations… La transformation d’une partie de l’Hôtel-Dieu en espace touristique va dans le même sens, quand bien même l’AP-HP a mené ses projets en solo, quitte à provoquer la révolte des associations du quartier, qui attendent mieux de la Mairie qu’une lettre de mise en garde!

Lire aussi :

Carte blanche précédente « On est sur quoi ? » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1191 du 10 au 16 janvier 2020.

Carte blanche suivante « La Terre vue de Windows » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1195 du 7 au 13 février 2020.

À lire : « La cité heureuse » (Fayard, 2007).

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